Roman-feuilleton – chapitre 5 : le hachoir à viande (1988-1993)

Textes et analyses | 10 juillet

En 2020, le MAC de Montréal fête ses 50 ans. Pour souligner cet heureux anniversaire et découvrir la riche histoire de notre organisme de défense des sans-emploi, nous publions le roman-feuilleton Le MAC, 50 ans de lutte. Chaque mois, deux (2) nouveaux épisodes pleins de rebondissements vous seront proposés.

Au menu cette semaine : le deuxième mandat des conservateurs de Mulroney et leurs attaques frontales contre le régime d’assurance-chômage. Bienvenue à l’assurance-chômage 2.0, aussi connue chez nous comme « le hachoir à viande » pour ses impacts dévastateurs sur les chômeur.ses.

LE HACHOIR À VIANDE (1988-1993)

Fort d’un C.A. et d’une équipe de travail renouvelée, le MAC se stabilise. Il souhaite plus que jamais assumer de front ses mandats d’éducation populaire, de service individuel et d’action collective.

En 1988, les temps sont toujours aussi durs pour l’économie canadienne. On estime que les changements technologiques et la délocalisation ont causé au cours de la décennie 1980 des mises à pied permanentes pour 70% des salariés dans le secteur des pâtes et papiers et 30% dans le secteur du textile. Le MAC est donc très occupé !

En plus du service individuel aux chômeur.ses qui bat son plein, le MAC accueille à l’été 1988 la pièce de théâtre Les clowns Ciseau et Ficèle et poursuit la mobilisation sur la discrimination vécue par les personnes racisées à la Commission d’assurance-chômage et sur les délais administratifs causés par l’informatisation de l’administration fédérale.  Le MAC met sur pied un comité de vigilance pour recenser et dénoncer les abus à l’assurance-chômage. « Par des moyens toujours plus nombreux, sous des prétextes toujours plus fallacieux, la CEIC coupe, sabre, retire et abolit les droits des prestataires.

Or, le rôle du programme de l’assurance-chômage est de supporter les sans-emploi dans la pénible situation économique qui est leur lot. »[1]

Encore une fois, le MAC condamne le discours néolibéral qui fait payer aux sans-emploi le prix d’une crise économique dont ils sont les derniers responsables. Il condamne aussi la conduite du gouvernement conservateur qui tente de maquiller la récession en jouant avec les statistiques et les droits des chômeur.ses, plutôt que tenter de créer des emplois permanents et de qualité.

« Ultimement les enjeux sont clairs : Ou bien le plein emploi est possible et nous devrons revendiquer que les agents socioéconomiques s’attèlent à la tâche. Dans le cas contraire, on devra s’allier aux personnes qui veulent un changement profond de la société afin qu’elle réponde aux aspirations de ceux et celles qui en sont actuellement exclus (mal-logés, chômeurs et chômeuses, assistées sociales et assistés sociaux, femmes, jeunes, minorités ethniques, personnes âgées). Mais là on parle d’une véritable Révolution. À moins que ce ne soit une autre utopie ! »[2]

Le MAC, comme l’ensemble du milieu communautaire, s’interroge sur l’effet de certaines politiques dévastatrices de Mulroney et Bourassa. Face à l’appel à l’aide croissant des victimes de ces politiques, un repli sur le service individuel est inévitable. « Les groupes populaires ont à jouer un rôle d’éclaireurs, dans le labyrinthe des politiques néolibérales au sein duquel la classe dirigeante nous enlise. (…) Mais l’urgence d’agir incite plusieurs groupes à s’embourber dans le service (…).

Et malgré tous les efforts déployés par ces groupes, ils ne parviennent pas  à suppléer au désengagement étatique, en réduisant l’ampleur des ravages qu’il présuppose. (…) Il est indispensable que les groupes populaires fassent de l’action politique, parce qu’ils doivent aussi être mobilisateurs et progressistes ! » [3]

 C-21 : L’ÉTAT SE RETIRE ET L’ÉTAU SE RESSERRE

« Annoncée aujourd’hui (11 avril 1989) par la ministre Barbara McDougall, la réforme de l’assurance-chômage au Canada confirme de façon non-équivoque l’orientation rétrograde prise par le gouvernement conservateur dans sa gestion de la société.

Consterné par la façon dont le gouvernement conservateur fait sien le modèle de gestion de l’économie et du marché du travail proposé par les milieux d’affaire, le MAC de Montréal ne peut que s’opposer à la réforme rendue publique aujourd’hui. »[4]

Dès son annonce, le MAC se positionne contre C-21.  Avec ce projet de loi, le gouvernement conservateur annonce la plus grande attaque au régime depuis sa création. Premièrement, on annonce une réduction du taux de prestation de 60% à 57%. Ensuite, le nombre de semaine maximal  de « pénalités » après avoir démissionné ou été congédié pour inconduite passe de 6 à 12 semaines. On évalue ces coupures (ou ses économies, dépendamment du point de vue) à 1,3 milliard de dollars.

Le MAC dénonce l’augmentation des semaines de pénalité en cas de départ volontaire et d’inconduite, le MAC écrit: « Non seulement l’actuel projet de loi C-21 rend-il plus difficile l’admissibilité au régime, accroissant la précarité de nombreux travailleurs et surtout travailleuses sur le marché du travail, mais il sera à toute fin pratique impossible de quitter son emploi ou d’en refuser un qui n’apparait pas convenable aux yeux du premier concerné, le salarié. »[5]

« Cette réforme renforce les préjugés à l’égard des chômeurs et chômeuses plus que jamais uniques responsables de leur état et donne au régime une fonction qui ne lui convient pas, celle d’adapter l’offre de main-d’œuvre à la demande grandement affectée par l’accord de libre-échange. »[6]

Pire encore, le gouvernement annonce que l’État se retire complètement du financement de la caisse d’assurance-chômage, lui qui la finançait depuis sa création en 1940 et à hauteur de 20% en 1989. C’est l’équivalent de près de 3 milliards de dollars par année qui ne seront pas versés dans la caisse. Le MAC condamne également la fin du financement de la caisse par l’État.

« Ce retrait n’est qu’une des manifestations de la volonté du gouvernement conservateur de laisser au secteur privé seul, la régulation de la croissance économique. » [7]

Mulroney souhaite que sa loi soit en vigueur le 1er janvier 1990. Tout au long de l’année, manifestations, pétitions, occupations de bureaux et commissions parlementaires se succèdent. Des chômeur.ses mécontents font du grabuge au Mount Royal Club, une ligne de piquetage accueille le comité législatif à l’Hôtel Méridien et les bureaux des députés conservateurs de la région de Montréal sont visités par la coalition Solidarité populaire Québec. Une manifestation a aussi lieu devant la résidence du premier ministre à Ottawa et 15 000 pétitions papiers contre C-21 sont déposées au Sénat !

La logique du gouvernement Mulroney est limpide. Favoriser la mobilité de la main-d’œuvre et l’éclosion d’un cheap labour canadien pour compétitionner les nouveaux partenaires du libre-échange. Comme remède à la récession, les conservateurs proposent aussi de financer la formation de la main-d’œuvre à même l’argent de la caisse d’assurance-chômage. La source de la récession qui s’éternise n’est donc plus le manque d’emploi, mais bien les lacunes des travailleur.ses…

« La ministre a déclaré à maintes reprises qu’il faut aller à l’encontre du caractère passif de l’actuel régime d’assurance-chômage, en misant sur la formation. Les programmes de formation préconisés ont pour but d’enrayer le phénomène des pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs  d’emploi, alors qu’on ne compte plus d’un million de chômeurs au pays. Pour sa part, le MAC de Montréal croit qu’il s’agit plutôt d’une politique d’adaptation de la main-d’œuvre aux besoins des entreprises et au libre-échange. »[8]

« Ce véritable détournement des fonds du régime qui sera dépensé en pure perte, et toutes les mesures répressives qui l’accompagnent, ne feront qu’accroître la précarité dans laquelle vivent des millions de personnes au Canada. »[9]

Pour bloquer la contre-réforme, le MAC peut finalement compter sur l’aide d’un allier inattendu, le Sénat canadien ! « On sait que la mise en œuvre de la réforme va accentuer encore davantage la division de la société entre bien nantis et plus pauvres, femmes, jeunes, travailleurs « malchanceux ». La dernière chance qui reste de faire reculer le gouvernement, c’est paradoxalement le Sénat. »[10]

Le Sénat réussira à bloquer l’adoption du projet de loi durant des mois, avant que la logique parlementaire ne le rattrape. C-21 est adoptée le 22 octobre 1990, 1 an et demi après avoir été présenté en avril 1989. La défaite est dure à avaler, comme nous le rappelle cet extrait du journal du MAC.« Conséquence, de plus en plus le droit à l’assurance-chômage dépendra de sa volonté comme travailleur de se recycler ou de s’en sortir.

Le gouvernement prétend qu’il existe des emplois, peut-être pas en nombre suffisant, mais peu importe, que les plus débrouillards tentent de les obtenir.

Tant  qu’aux autres, rentrez chez vous, disparaissez ou entrez dans les Forces (Saddam ne fera qu’une bouché de vous), mais qu’on ne vousvoit plus.»[11]

Le MAC craint même la fin de l’assurance-chômage à court terme. « Le retrait du gouvernement fédéral du financement de la Caisse d’assurance-chômage n’a jamais eu d’autre objectif que de faciliter encore davantage le démantèlement du régime. En effet, la hausse dramatique des cotisations sans résorption significative du déficit rendra inévitable une autre ronde de coupures dans le régime afin d’en réduire les coûts. À leur tour, patrons et travailleurs trouveront inutile de cotiser autant à une assurance qui ne les protège à peu près plus. La table sera mise, alors, pour la disparition du régime. Et tout cela risque de survenir avant 1995. »[12]

ET MAINTENANT, ON FAIT QUOI?

Après l’entrée en vigueur de C-21, le MAC doit mettre à jour ses revendications et les faire entendre d’ici à 1993. L’objectif est clair : chasser les conservateurs du pouvoir et espérer qu’un gouvernement issu d’un autre parti efface la contre-réforme et implique de nouveau l’État dans le financement de la caisse.

Conséquemment, le MAC, tient rapidement un congrès d’orientation (février 1991), qui proposera d’élargir la réflexion et d’organiser un colloque sur l’avenir de l’assurance-chômage avec ses partenaires des milieux communautaires et syndicaux. « Le colloque 91 réaffirme la nécessité de bâtir un régime universel d’assurance-chômage, assumant pleinement son rôle de prévention de la pauvreté et de redistribution de la richesse sur l’ensemble du territoire.

Il faut que soit revendiquée une politique de plein emploi comprenant des emplois socialement utiles et valorisant et cela, en front commun avec les groupes populaires, communautaires et syndicaux. »[13]

Suite au colloque, qui se tient les 4 et 5 novembre, un comité aviseur relance les organisations partenaires afin que les revendications soient formellement appuyées.

VICTOIRE POUR LES 65 ANS ET PLUS

Le Colloque 91 est également l’occasion de souligner la récente victoire de Marcelle Tétreault-Gadoury devant la Cour suprême du Canada, une victoire pour tous les travailleur.ses de 65 ans et plus qui consacre leur droit à l’assurance-chômage. Rappelons les faits depuis le début.

« Mme Tétreault-Gadoury, ayant eu 65 ans le 8 septembre 1986, s’est vu refuser son droit aux prestations d’assurance-chômage lorsqu’elle perdit son emploi le 19 septembre 1986 cela malgré le fait qu’elle répondait à toutes les conditions requises pour avoir droit à l’assurance-chômage. Mais il y avait une restriction à cette loi, soit le prestataire se devait d’être âgé de moins de 65 ans, en vertu de l’article 31 de la Loi sur l’assurance-chômage. Elle n’avait donc pas droit à ses prestations depuis 11 jours à cause de son âge.

Celle-ci s’est alors adressée au MAC qui aide les prestataires à faire reconnaître leurs droits. En collaboration avec l’étude de Campeau, Ouellet, Nadon et Lussier, spécialistes dans la sauvegarde des droits de travailleurs et travailleuses aux prises avec le chômage, un recours fut pris.» [14]

Après avoir été entendue devant le Conseil arbitral, puis portée en appel devant le juge-arbitre, la cause se rend jusqu’en Cour d’appel fédérale.« Le 23 septembre 1988, la Cour d’appel fédérale rendait inopérant l’article 31 de la Loi sur l’assurance-chômage en le déclarant contraire à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ainsi, la Cour d’appel fédérale prônait le droit à l’égalité pour tous et éliminait la discrimination faite aux personnes âgées de 65 ans et plus à l’égard de leurs prestations d’assurance-chômage. »[15]

Suite à cette victoire, le MAC interpelle le gouvernement afin qu’il ne porte en appel la décision devant la Cour suprême du Canada. De plus, la décision de la CAF arrive deux mois avant l’élection fédérale du 21 novembre 1988. En conférence de presse, le MAC, avec l’appui des grandes centrales syndicales et de regroupements de personnes âgées, demande aux trois grands partis fédéraux de s’engager à légiférer après l’élection du 21 novembre 1988.[16]  Dans un geste qualifié de méprisant par plusieurs, la ministre de l’assurance-chômage, Barbara McDougall, refuse de s’engager à légiférer pour protéger le droit à l’assurance-chômage des travailleur.ses de 65 ans et plus.

« Le plus grave, c’est de constater la mauvaise foi d’un gouvernement sûr de sa réélection. Alors que d’un côté on affirme que la caisse de l’assurance-chômage est vide, de l’autre côté on décrète une baisse de 17% des cotisations résultant en une économie pour les employeurs de plus de 850 millions de $ en 1989. Dire qu’assurer les 65 et plus coûterait la bagatelle de 50 millions $ par année. »[17] 

Pire encore, le jour même des élections, le procureur général du Canada dépose une demande de permission d’en appeler de devant la Cour Suprême.[18]

En décembre 1988, la Cour d’appel fédérale accorde la requête faite par le gouvernement dans le but de suspendre les effets de la décision favorable aux personnes âgées de 65 ans et plus. Ainsi, tant et aussi longtemps que la Cour suprême du Canada ne se sera pas prononcée sur la question, les personnes âgées de 65 ans ne sont tout simplement pas éligibles à l’assurance-chômage.[19]

Le 1er juin 1989, le gouvernement Mulroney dépose le projet de loi C-21, qui, rare élément positif pour les sans-emploi, élimine la restriction d’âge de 65 ans, et ce rétroactivement à la décision de la CAF, soit le 23 septembre 1988. Sept jours plus tard, la Cour suprême annonce qu’elle accorde la permission d’en appeler au Procureur général et qu’elle entendra donc la cause.

La décision de la Cour d’appel fédérale étant sans effet jusqu’à ce que la Cour suprême tranche, les travailleur.ses de 65 ans et plus sont toujours privés de leurs droits. Ils le seront jusqu’à l’adoption de C-21 en septembre 1990.

Finalement, la Cour suprême rend sa décision le 6 juin 1991 et confirme que le fait de priver des personnes de leur droit à l’assurance-chômage sur la seule base de leur âge, et en dépit de leur capacité et volonté de travailler, est grossièrement discriminatoire.

Dans la décision, le juge Laforest écrit dans ses motifs : « La restriction fondée sur l’âge que comportait l’art. 31 de la Loi de 1971 sur l’assurance‑chômage était incompatible avec le par. 15(1) de la Charte.  Elle faisait perdre pour toujours à l’intimée le statut d’assurée sociale pour lui attribuer celui de pensionnée de l’État, même si elle est toujours en quête d’un nouveau travail.

Sans égard à ses aptitudes et à sa situation personnelles, elle était stigmatisée comme faisant partie du groupe de ceux et celles qui ne font plus partie de la population active et véhiculait le stéréotype insidieux qui veut qu’une personne âgée de 65 ans et plus n’est plus réhabilitable sur le marché du travail. »[20]

Bien que la loi ait été modifiée avec l’entrée en vigueur de C-21 et qu’il n’y ait plus de limite d’âge à l’assurance-chômage, le jugement de la Cour suprême assure aux chômeur.ses que de telles dispositions âgistes ne pourront dorénavant plus être inscrites dans la Loi. La victoire est totale.

C-105 ET C-113 : COUPER DANS LE GRAS DU MAIGRE

Dès 1992, les sans-emploi préparent  la bataille électorale de 1993. Toujours non-partisan, le MAC doit cependant s’assurer de bouter hors du Parlement le parti conservateur afin de freiner l’hémorragie entamée avec C-21. Un troisième mandat est une catastrophe annoncée pour les chômeur.ses. Comme tout le monde, le MAC pense, en toute logique, que Mulroney n’osera pas attaquer de nouveau le régime d’assurance-chômage en année pré-électorale.Erreur : les conservateurs n’en avaient pas fini avec les chômeur.ses.

On apprend les nouvelles intentions du gouvernement Mulroney dans l’exposé économique du ministre des Finances Don Mazankowski, le 3 décembre 1992. « Les personnes qui laissent volontairement leur emploi sans motif valable ou qui perdent leur travail à cause de leur mauvaise conduite n’auront plus droit aux prestations d’assurance-chômage. (…) On parle ici d’une nouvelle coupure  d’environs 300 millions de dollars que les chômeurs auront à assumer.

Cette mesure est essentiellement adoptée pour contraindre les employés (es) à conserver leur emploi coûte que coûte et à n’importe quelles conditions. »[21]

Dit plus simplement, on assiste à l’abolition de la liberté de travail telle qu’on la connaissant. Si le départ volontaire et l’inconduite étaient déjà sanctionnés de 7 à 12 semaines d’exclusion depuis 1990, les fonctionnaires utilisaient très souvent leur pouvoir discrétionnaire pour punir les chômeur.ses du minimum de semaines possible en invoquant des circonstances atténuantes. L’exclusion est désormais totale et cette marge de manœuvre est retirée aux agent.es de la Commission d’assurance-chômage.

En plus d’exclure totalement les chômeur.ses du bénéfice des prestations suite à un départ volontaire ou une inconduite, le projet de loi C-105 (d’abord nommé C-105, il sera amendé en C-113 en mars 1993) diminue également le taux de prestations de 60% à 57%.

Le MAC réagit rapidement. Dans la semaine du 14 au 17 décembre, 5 bureaux de députés sont occupés. Une soirée de solidarité est tenue le 15 décembre à l’Union française avec les allié.es syndicaux et communautaires. Michel Chartrand et Pierre Vallières y prennent la parole.

« Devant la mobilisation croissante de la population, le gouvernement conservateur n’aura pas le choix de reculer en retirant le projet de loi C-105 et devra se conformer d’ici très peu de temps à l’exercice d’une consultation populaire.»[22]

Une campagne de lettres aux député.es est lancée. Déterminé à bloquer le projet de loi, le MAC n’y va pas de main morte: «  Et en tant que Ministre responsable de l’Île de Montréal, (…) Qu’avez-vous fait pour sauver Montréal alors que 27% de sa population active se retrouve sans emploi ?

Qu’avez-vous fait pour Montréal alors que ses usines ferment une à une ? Vous regretterez amèrement le choix que vous faites de couper dans le régime de l’assurance-chômage. »[23]

La porte est grande ouverte aux abus et le MAC s’inquiète du sort des travailleurs.ses, particulièrement les femmes, les jeunes, les immigrant.es qui occupent dans la majorité des cas les emplois précaires et non-syndiqués »[24] « Les employeurs qui rationalisent leurs entreprises, tentent souvent de forcer les employées à démissionner pour éviter les préavis de départ. Cette démission forcée s’obtient facilement par le harcèlement. »[25]

L’opposition à C-105 est menée au Québec par les groupes de chômeur.ses, Solidarité populaire Québec et dans une large mesure par le Comité régional intersyndical de Montréal (CRIM).

« Lors de la manifestation du 7 février dernier dans les rues de Montréal, où plus de 45 000 personnes à -25 degrés Celsius protestaient contre le projet de réforme du gouvernement conservateur en matière d’assurance-chômage (C-105), C-113), le président du MAC de Mtl, M. Gaétan Guérard, invité sur la tribune à titre de porte-parole des sans emploi a déclaré :

« Si les Mulroney, Valcourt, Campbell (Conservateurs) et les autres passent la nouvelle réforme de l’assurance-chômage, nous, les sans emploi, nous leur promettons de les battre aux prochaines élections fédérales ».[26]

Devant cette démonstration de force et sentant la soupe chaude, le ministre Bernard Valcourt, en charge de C-105, utilise l’argument économique. Le MAC n’est pas dupe.

« Le ministre Valcourt insiste pour dire que cette réforme est nécessaire vu l’ampleur du déficit de la caisse de l’assurance-chômage. Cette affirmation devient très ironique lorsqu’on analyse ce déficit. Quand en 1990, le gouvernement conservateur s’est retiré du programme d’assurance-chômage, la caisse de l’assurance-chômage n’affichait alors aucun problème d’équilibre financier. Cette année, on s’attend à ce que le déficit atteigne 3,3 milliards $, pour une dette cumulée de 8 milliards $. Depuis trois ans, une partie non-négligeable du fonds de la caisse a été détournée de sa vocation première qui est de payer des prestations, pour financer des programmes de formation professionnelle. En plus d’empiéter sur un domaine de compétence provinciale, le siphonage provoqué par ce détournement et déséquilibre le fonds de la caisse et en accentue le déficit. » [27]

Pour mieux faire avaler sa contre-réforme, Valcourt joue également la carte de la protection contre les méchants fraudeurs.« Sous l’œil des caméras, le ministre Valcourt a affirmé à la Chambre des communes que son projet de loi vise à empêcher les chômeurs et chômeuses de quitter leur emploi pour aller passer l’hiver en Floride aux frais des autres travailleurs.» [28]

En mars, le gouvernement amende C-105 qui devient C-113. Plusieurs qualifient le geste d’opération cosmétique afin de calmer la grogne et la dissidence au sein même des rangs conservateurs. Si les grands principes restent les mêmes, soit l’exclusion totale en cas de congédiement disciplinaire ou démission, le gouvernement ajoute 8 motifs pour justifier un départ volontaire. Le projet de loi est amendé de telle sorte que la Commission d’assurance-chômage devra interroger aussi l’employeur sur les circonstances de la fin d’emploi et qu’en cas de versions contradictoires d’égale crédibilité,  le bénéfice du doute sera accordé au prestataire…

Bien qu’arrachés de haute lutte, les gains sont maigres. Le MAC n’en démord pas et attaque le projet de loi devant le comité législatif qui l’étudie : « Selon nous, cette réforme cherche non pas à contrôler le chômage, mais elle sert de manœuvre de camouflage statistique du nombre réel de chômeurs au pays et des coûts qui y sont associés. Le gouvernement préfère cacher le problème plutôt que de le régler par une politique de création d’emplois et de véritables programmes de main-d’œuvre. (…) un des objectifs poursuivi par le projet de loi C-113 est littéralement de « sortir » du régime le maximum de bénéficiaires, peu importe leur sort ultérieur. Du point de vue du gouvernement, c’est leur problème personnel. Pourtant, le manque d’emploi et les difficultés d’intégration au marché du travail sont des problèmes de société.

Le régime créée maintenant deux classes de chômeurs : les bons chômeurs qui ont droit à une protection et les méchants chômeurs qui ne méritent rien même s’ils ont cotisé au régime depuis de nombreuses années. »[29]

C-113 sera finalement adoptée et entre en vigueur le 4 avril 1993. Les exclusions totales en cas de départ volontaire et d’inconduite sont toujours en vigueur. Contester ces exclusions représente encore aujourd’hui une partie importante du travail du MAC.

Le 25 octobre 1993, le Parti libéral de Jean Chrétien est porté au pouvoir. Le parti conservateur, dirigé depuis peu par Kim Campbell, est décimé, alors que l’électorat lui fait perdre 149 des 151 sièges qu’il détenait au Parlement. Dans l’opposition depuis 1984, les libéraux ont presque systématiquement dénoncé les attaques du gouvernement Mulroney contre l’assurance-chômage. Maintenant au pouvoir, comment agiront-ils ? La réponse au prochain chapitre.

Prochain chapitre : Les vautours (1994-2001)

Retour à la table des matières

 RÉFÉRENCES

[1] Agir contre la CEIC, agir pour le bien commun !!!!, Regroupement des chômeurs et chômeuses du Québec (RCCQ), 29 avril 1988

[2] L’action politique, c’est essentiel, Plan de travail présenté par le comité Info-Stratégie du MAC de Montréal pour la période du 1er septembre 1987 au 31 août 1988

[3] Claude Girard, Info-MAC, vol.1 no 5, 10 octobre 1989

[4] Réforme de l’assurance-chômage : la fin d’un certain type de société, communiqué de presse, MAC de Montréal, 11 avril 1989

[5] Réforme de l’assurance-chômage : le monde du travail se mobilise le 15 juin prochain, communiqué de presse, MAC de Montréal, 15 juin 1989

[6] Réforme de l’assurance-chômage : la fin d’un certain type de société, communiqué de presse, MAC de Montréal, 11 avril 1989

[7] Financement du régime d’assurance-chômage : le gouvernement fédéral doit continuer à contribuer, communiqué de presse, MAC de Montréal, 27 avril 1989

[8] Réforme de l’assurance-chômage et formation de la main-d’œuvre, MAC de Montréal, communiqué de presse, 16 janvier 1990

[9] Les raisons de la colère, communiqué de presse, RCCQ, 25 avril 1989

[10] Assurance-chômage et récession quasi-assurée en 1990…Le gouvernement adopte sa réforme sans concession et pendant ce temps, le Sénat étudie le projet de loi C-21, Info-MAC. vol.1 no 7, 11 décembre 1989

[11] Info-MAC, vol.2 no 4, mai 1990

[12] Impact du dernier budget Wilson : l’assurance-chômage en péril, communiqué de presse du MAC de Montréal, 22 mars 1991

[13] Recommandations et revendications : Colloque 91, Document de travail, Association des Mouvements Action Chômage du Québec (AMACQ), date inconnue.

[14] Discrimination dans la Loi sur l’assurance-chômage ?, MAC de Montréal, 1989

[15] Assurance-chômage pour les personnes âgées de 65 ans et plus, la Cour suprême du Canada entendra la requête du gouvernement, communiqué de presse, MAC de Montréal, 8 juin 1989

[16] La suite de 65 ans du jugement Tétreault-Gadoury : Les travailleurs de 65 ans et plus réclament le droit à l’assurance-chômage, communiqué de presse, 28 octobre 1988

[17] Assurance-chômage pour les personnes âgées de 65 ans et plus, la Cour suprême du Canada entendra la requête du gouvernement, communiqué de presse, MAC de Montréal, 8 juin 1989

[18] Ibid.

[19] L’assurance-chômage pour les 65 ans et plus : le gouvernement conservateur brouille les pistes, MAC de Montréal, Communiqué de presse, 4 avril 1989

[20] Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration) ([1991] 2 R.C.S. 22

[21] Le gouvernement conservateur s’attaque aux chômeurs et chômeuses plutôt qu’au chômage, communiqué de presse, MAC de Montréal, 3 décembre 1992

[22] Mulroney s’attaque aux chômeurs et chômeuses plutôt qu’au chômage, communiqué de presse, MAC de Montréal, 14 décembre 1992

[23] Lettre à Jean Corbeil, Ministre des transports, William de Merchant, MAC de Montréal, 15 décembre 1992

[24] Lettre à Gerry Weiner, Ministre du multiculturalisme et de la citoyenneté, François Cyr, MAC de Montréal, 16 décembre 1992

[25] Les coupures dans l’assurance-chômage attaqueront plus particulièrement les femmes, communiqué de presse, MAC de Montréal, 17 décembre 1992

[26] Le Mac de Montréal, lui, tient ses promesses…Le 25 octobre prochain, dehors les conservateurs !, Françoise Laliberté, InfoMAC octobre 1993

[27] C-113 : une réforme qui risque de coûter très cher à Montréal, William de Merchant, MAC de Montréal, date inconnue.

[28] Les chômeurs et chômeuses sont-ils tous des fraudeurs, InfoMAC spécial, février 1993, p.6

[29] Mémoire sur le projet de loi C-113 pour le comité des finances du Sénat, présenté par le Mouvement Action-Chômage de Montréal, Ottawa, 25 mars 1993