Conférence de presse : Maternité, chômage et discrimination
Interventions médiatiques | 26 octobre
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Communiqué de presse (PDF) – Pour diffusion immédiate
MATERNITÉ, CHÔMAGE ET DISCRIMINATION : 6 FEMMES DEVANT LES TRIBUNAUX
Montréal, le 26 octobre 2020 – Un processus judiciaire s’amorcera demain devant la division générale du Tribunal de la sécurité social, en vidéoconférence à 9h30. Le recours vise à faire déclarer inconstitutionnelles certaines dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi qui sont discriminatoires et pénalisent les femmes sur la base de leur grossesse.
Le Mouvement Action-Chômage (MAC) de Montréal, un groupe de défense des droits des sans-emploi, accompagnera aussi longtemps que nécessaire les 6 travailleuses qui n’ont pas eu droit aux prestations régulières d’assurance-emploi suite à leur congé de maternité bien qu’involontairement sans emploi. C’est en raison de l’inaction du gouvernement fédéral depuis des années dans ce dossier que le MAC se tourne aujourd’hui vers les tribunaux.
Déjà en 2009, les libéraux recommandaient au gouvernement Harper de « modifie[r] le régime d’assurance-emploi pour les femmes qui sont mises à pied durant ou après un congé de maternité ou parental afin que les prestations soient fondées sur le nombre d’heures travaillées avant ce congé. » Depuis, aucun parti politique ne s’est engagé à corriger cet anachronisme au sein du régime, à l’exception du Bloc Québécois en 2019.
Personne n’est à l’abri d’une perte d’emploi et aucune travailleuse ne devrait être exclue d’une protection en cas de chômage parce qu’elle s’est absentée temporairement du travail en raison de sa grossesse. « Cette situation place les femmes dans un état de grande précarité économique et les enferme dans une position de vulnérabilité et de dépendance face à l’autre parent. » indique Marie-Andrée Gauthier du Réseau des tables régionales de groupes de femmes du Québec.
Pour le Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi (MASSE), le gouvernement doit sans attendre adopter des règles permanentes pour protéger équitablement les chômeuses au sein du régime régulier. Sa porte-parole, Camille Legault Thuot, ajoute : « Pourquoi attendre l’avis des tribunaux ? Un gouvernement fédéral qui se prétend féministe doit modifier de lui-même la Loi sur l’assurance-emploi afin que toute personne puisse avoir accès aux prestations régulières d’assurance-chômage, sans égard aux prestations de maternité, parentales ou de paternité versées comme c’est le cas avec la prestation canadienne d’urgence et la nouvelle prestation de relance économique. »
À l’heure où le gouvernement indique que le Canada a besoin d’un régime d’assurance-emploi adapté au XXIe siècle, il est plus que temps de favoriser l’égalité sociale et économique de toutes les travailleuses. La présence massive des femmes sur le marché du travail et les responsabilités familiales qu’elles continuent d’assumer commandent des changements législatifs immédiats. Les nouvelles mères doivent être protégées en cas de chômage comme tout autre travailleur.
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Créé en 1970, le Mouvement Action-Chômage (MAC) de Montréal est le plus ancien groupe de défense des chômeurs et chômeuses au Canada. Il fait partie du Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi (MASSE).
SOURCE: Mouvement Action-Chômage (MAC) de Montréal
POUR INFORMATION: Éliane Legault-Roy : 514-692-4762
DOSSIER DE PRESSE (PDF)
CONTESTATION CONSTITUTIONNELLE
À l’heure actuelle au Canada (hors Québec), une travailleuse enceinte qui perd involontairement son emploi et qui se qualifie au régime d’assurance emploi (AE) aura droit à un maximum de 50 semaines de prestations d’AE régulières combinées aux prestations maternité/parentales.
Au Québec, le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) prévoit que le versement de prestations de chômage n’affecte pas la durée des prestations maternité/paternité/parentales. Ainsi, la nouvelle mère ne sera pas pénalisée par sa perte d’emploi, elle aura droit à l’entièreté de ses prestations RQAP contrairement aux mères canadiennes dans la même situation.
Toutefois, suite au congé maternité, tant la mère canadienne que la mère québécoise n’aura plus droit aux prestations régulières d’AE auxquelles elle s’était pourtant qualifiée avant l’accouchement.
Par ailleurs, une travailleuse qui perd involontairement son emploi durant son congé maternité n’aura pas droit aux prestations régulières d’AE au terme de ce congé. La loi ne prévoit pas la possibilité de prendre en compte les heures de travail effectuées avant le congé maternité afin que la nouvelle mère puisse se qualifier aux prestations d’AE.
Au Mouvement Action-Chômage (MAC) de Montréal, nous croyons que toutes les travailleuses ont droit à une pleine protection en cas de chômage, indépendamment de toute absence sur le marché du travail liée à la grossesse, à la maternité et aux responsabilités parentales, conformément au droit à l’égalité prévu dans la Charte canadienne des droits et libertés.
En janvier 2018, nous avons déposé un premier avis de question constitutionnelle auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (TSS) afin de déterminer si certaines dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi sont discriminatoires en ce qu’elles ont pour effet de restreindre ou de priver l’accès des femmes au bénéfice des prestations régulières d’AE en raison de leur grossesse et de leur sexe. À ce jour, nous avons accepté de représenter 8 nouvelles mères (2 dossiers sont en attente) qui ont toutes subit une perte d’emploi involontaire et qui n’ont pas eu pleinement droit aux prestations en raison de leur grossesse.
Les femmes que nous représentons ont d’abord dû faire une demande d’assurance-emploi. Sans surprise, leurs demandes ont été rejetées. Elles ont ensuite fait une demande de révision administrative, automatiquement rejetée elle aussi. Près de 3 ans plus tard, nous sommes enfin prêtes à plaider les dossiers. La première étape du processus judiciaire se trouve devant la division générale du TSS, un tribunal administratif chargé d’entendre les appels en matière d’AE. Nous espérons évidemment obtenir gain de cause à cette première étape. Toutefois, dans de tels dossiers, il est plus que probable que la Commission d’assurance-emploi porte la décision en appel. Advenant une décision en défaveur des six plaignantes, le MAC sera lui aussi prêt à défendre la cause en appel.
Dans ce cas, le dossier cheminera vers la division d’appel du TSS Puis, la Cour d’appel fédérale entendra la demande en contrôle judiciaire et finalement, avant d’accéder à la Cour suprême du Canada, une demande d’autorisation d’appel devra être présentée.
C’est avec une immense joie que nous avons appris le 14 avril 2020, que le Comité d’experts en matière des droits de la personne du Programme de contestation judiciaire (programme financé par le gouvernement fédéral) a reconnu que notre dossier est une cause type d’importance nationale et nous a accordé un soutien financier afin que nous puissions avoir accès aux tribunaux afin de débattre de cette question cruciale pour le droit à l’égalité des Canadiennes.
CONTEXTE POLITIQUE
Plus on protège la travailleuse en congé de maternité, moins celle-ci est protégée en cas de chômage. L’augmentation des femmes dans la population active et le fait que celles-ci y demeurent habituellement suite à la naissance d’un enfant est indéniable.
D’un bout à l’autre du pays, les travailleuses sont à risque de ne pas être protégées en cas de perte d’emploi, non pas parce qu’elles n’ont pas le nombre d’heures requis, non pas parce qu’elles ne possèdent pas un motif de fin d’emploi valide, les travailleuses canadiennes sont à risque de ne pas être protégées par le régime d’assurance-emploi parce qu’elles perdent leur emploi durant un congé de maternité !
Évolution de la protection de la travailleuse en congé de maternité :
1971 : Création des prestations spéciales de maternité. La loi interdit de cumuler plus de 15 semaines en prestations spéciales maternité et maladie.
1984 : L’inadmissibilité aux prestations régulières imposée automatiquement aux femmes enceintes pendant les 15 semaines entourant l’accouchement est abolie.
1990 : Tous les parents ont accès à 10 semaines de prestations parentales partageables et la limite de 15 semaines en prestations spéciales augmente à 30 semaines.
2000 : La durée des prestations parentales est allongée à un maximum de 35 semaines et corollairement, la limite de semaines en prestations spéciales est passée de 30 à 50 semaines.
2006 : Création du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP)
2009 : Le Comité permanent de la condition féminine piloté par Hedy Fry, députée libérale siégeant alors dans l’opposition officielle, a présenté un rapport à la Chambre des Communes concernant les répercussions du régime d’AE sur les femmes au Canada. Entre autres recommandations nous retrouvons : « que le gouvernement modifie le régime d’assurance-emploi pour les femmes qui sont mises à pied durant ou après un congé de maternité ou parental afin que les prestations soient fondées sur le nombre d’heures travaillées avant ce congé. »[1]
2018 : Une nouvelle prestation parentale partagée d’AE entre en vigueur en mars 2019.
2018 : Sous le thème « égalité et croissance », le budget fédéral 2018 prend pleinement acte que l’égalité entre les hommes et les femmes n’est toujours pas atteinte et que le gouvernement doit contribuer à améliorer la situation.
Ainsi, peut-on lire que :
« Les femmes représentent la moitié de la population canadienne et leur pleine et égale participation à l’économie canadienne est essentielle pour l’avenir de notre pays. L’élimination des obstacles systémiques à leur pleine participation à l’économie stimulera la croissance économique, renforcera la classe moyenne et permettra de construire une société plus juste qui offre à tout le monde une chance réelle et égale de réussir. (…)
Soutenir l’égalité à l’égard du rôle parental et la souplesse permettant un retour plus rapide au travail La plupart des Canadiens commencent à fonder une famille au moment d’entreprendre une carrière ou de progresser dans leur carrière. Afin d’aider les nouveaux parents à prendre soin de leurs enfants au cours des premiers mois, le gouvernement leur accorde des prestations de maternité et des prestations parentales au titre de l’assurance–emploi. (…) la situation la plus courante est celle d’une mère qui s’occupe principalement des enfants après leur naissance. Même si le deuxième parent peut assumer de nombreuses responsabilités ménagères et apporter des soins, les mères continuent d’assumer de manière disproportionnée les responsabilités parentales, tant à court terme suivant l’arrivée de leur enfant qu’à long terme, souvent en raison des nombreux défis liés à leur retour sur le marché du travail après une interruption de leur carrière. (…)
Des congés parentaux plus équitables aideront à instaurer des pratiques d’embauche plus équitables en réduisant la discrimination consciente et inconsciente de la part des employeurs. »[2]
2018 : En octobre 2018, le Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi (MASSE) a lancé sa campagne De travailleuses à chômeuses, même injustice, même combat! qui vise à défendre l’accessibilité à l’assurance-chômage dans une perspective féministe.
2019 : À plusieurs reprises nous avons fait des représentations politiques auprès de diverses instances : nous avons notamment rencontré le Ministre Jean-Yves Duclos, l’attachée politique du Premier Ministre Justin Trudeau ainsi que le Commissaire des travailleurs et aux travailleuses, Pierre Laliberté.
Le 26 février 2019, nous avons déposé la signature de milliers de citoyennes et citoyens qui revendiquent un régime d’assurance-chômage juste et universel qui ne discrimine pas les femmes. La pétition était marrainée par Brigitte Sansoucy, ancienne députée Néo-démocrate de Saint-Hyacinthe-Bagot. Et pourtant, rien ne bouge pour les femmes.
À ce jour, c’est plus d’une centaine d’organisations syndicales et communautaires qui ont appuyé notre campagne.
DEPUIS LA PANDÉMIE
Le marché du travail est et a toujours été profondément inégalitaire entre les femmes et les hommes. Cette réalité est amplifiée par les effets de la covid19 sur de nombreux secteurs d’emploi où les femmes sont nombreuses à avoir perdu leur travail.
En réponse à ce chômage de masse, le gouvernement semble avoir entendu nos revendications et a prévu que les travailleuses en congé de maternité ne soient pas exclues de la prestation canadienne d’urgence (PCU) ni de la prestation canadienne de relance économique (PCRE). En effet, pour la première fois de son histoire, le Canada a reconnu que les prestations maternité, paternité et parentales constituaient un revenu au fin de qualification à une protection sociale.
L’actuel président du Conseil du trésor, l’honorable Jean-Yves Duclos, a affirmé en entrevue qu’
Tout semble enligné pour une réforme du régime d’assurance-emploi et le gouvernement doit mettre un terme à la discrimination subie par les travailleuses en congé de maternité.
REVUE DE PRESSE ET DOCUMENTATION
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Les femmes enceintes discriminées par l’assurance-emploi, Chu Anh Pham, Radio-Canada, 8 mars 2018
Pour toutes les nouvelles sur le chômage et nos mobilisations, analyses et revendications, consultez les Actualités.
[1] Vers l’amélioration de l’accès des femmes aux prestations d’assurance-emploi : rapport du comité permanent de la condition féminine (Hedy FRY, présidente), Ottawa, Gouvernement du Canada, 2009, p. 57
[2] Le budget de 2018 : égalité et croissance pour une classe moyenne forte, Ministère des finances, Gouvernement du Canada, 2018, p. 44, 48 et 50
[3] « Jean-Yves Duclos : faire atterrir l’avion dans la tempête », François Bourque, Le Soleil, 10 avril 2020