Roman-feuilleton – chapitre 4 : le calme avant la tempête (1980-1987)

Textes et analyses | 8 juin

En 2020, le MAC de Montréal fête ses 50 ans. Pour souligner cet heureux anniversaire et découvrir la riche histoire de notre organisme de défense des sans-emploi, nous publions le roman-feuilleton Le MAC, 50 ans de lutte. Chaque mois, deux (2) nouveaux épisodes pleins de rebondissements vous seront proposés.

Au menu cette semaine : les austères années 80, le chômage de masse et le combat victorieux des pré-retraité.es.

Le calme avant la tempête (1980-1987)

Les années 80 défilent sous le signe d’une certaine morosité. Libre-échange, délocalisation d’usines, mises à pied massives et austérité budgétaire fragilisent le sort des travailleur.ses et par conséquent des sans-emploi. Les groupes populaires de lutte à la pauvreté et les syndicats doivent se repositionner politiquement face aux discours en vogue, le néolibéralisme en tête.

Étrangement, les années 1980 à 1987 constituent un rare moment de répit dans l’érosion extrême que connaîtra le régime d’assurance-chômage de 1975 à 1996. À peine sorti de 3 luttes en 4 ans pour tenter, en vain, de faire tomber des contre-réformes très dommageables pour les travailleur.ses, le MAC profite de ce sursis pour se redéfinir et tisser des solidarités avec plusieurs allié.es. Ce sera le cas, comme nous le verrons, avec les associations pour les droits des retraité.es, qui mèneront avec le MAC la lutte victorieuse contre l’exclusion des « chômeurs pré-retraités ».

L’ACTION COLLECTIVE FACE AU NÉOLIBÉRALISME

En 1980, le MAC continue sa volonté de décentralisation et se déplacent régulièrement dans les quartiers Saint-Louis, Centre-Sud et Hochelaga pour y donner des services et faire de la mobilisation.

Nous devrions mettre l’accent sur l’auto-suffisance des chômeurs et chômeuses, la connaissance de la loi par chacun et chacune, de sorte que chaque chômeur ou chômeuse puisse s’occuper de son cas et du cas de la voisine. [1]

Parallèlement, le MAC, dans ses efforts pour rejoindre les travailleur.ses précaires, se dote d’un comité immigration, qui traduit le Guide des conseils pratiques en plusieurs langues, notamment en anglais, espagnol, arabe, portugais, italien et turc. Il poursuit également son action dans d’autres quartier, à travers  le projet du MAC de l’Est, qui a maintenant un local dans Hochelaga, coin Aylwin et Adam.

En 1981, le MAC poursuit son combat contre les délais administratifs. Une pétition contre les délais de traitement des dossiers à l’assurance-chômage lancée un an plus tôt par le Regroupement des chômeuses et chômeurs du Québec (RCCQ) récolte 20 400 signatures au Québec. On y revendique la fin du délai de carence, des exclusions et des délais, ainsi que la réaffirmation que l’assurance-chômage est un droit, pas une faveur. On y condamne aussi la rhétorique du gouvernement qui utilise le stéréotype du fraudeur pour se justifier.

(…) chaque fois que l’on a présenté des modifications au régime d’assurance-chômage, par hasard ou à dessein, nous avons eu droit auparavant à une campagne savamment orchestrée sur les prétendus abus du régime.

Ainsi, on conditionnait les gens et on les préparait à accepter ces modifications supposément destinées à réduire les abus ou à resserrer les mécanismes de contrôle[2].

Le manifeste du MAC de Montréal est aussi lancé en 1981, fruit d’un consensus de tous les membres et aboutissement d’années de réflexions à l’interne sur l’équilibre à atteindre entre défense collective et service individuel.

«  Dans une société où le plein emploi n’est pas un objectif pour les dirigeants, on n’est même pas certain de pouvoir bénéficier de l’assurance-chômage. Celle-ci n’est pas une vraie assurance ! Il y a des compagnies d’assurance qui refusent de payer leurs primes après un vol, un incendie ou un décès. Mais le gouvernement fourre encore plus de monde que ces compagnies-là : c’est par centaines de milliers qu’il nous coupe en changeant sans nous consulter le texte de la « police d’assurance », la loi de l’assurance chômage.

Pourquoi sommes-nous obligés (es) de payer de l’assurance-chômage ? C’est pas nous qui fermons les usines, qui remplaçons les gens par des machines, qui faisons des mises à pied massives comme aux Postes ! »[3]

En 1982, le MAC met en action son manifeste et assume sa volonté d’ancrer sa lutte dans l’action politique et l’éducation populaire. Le MAC concrétise aussi en 1982 sa volonté de se démocratiser d’avantage en tenant une assemblée générale mensuelle, lieu de participation des membres à la vie associative.

« Nous proposons que dans la mesure du possible, nous répondions collectivement aux problèmes individuels de chômage en favorisant des luttes continuelles dans les bureaux de chômage pour faire pression sur la Commission de l’Emploi et de l’Immigration (CEI). Nous proposons la mise sur pied de soupers communautaires, d’activités populaires avec des thèmes précis qui permettent la discussion et l’échange sur le chômage et les problèmes qui gravitent autour en même temps que la conscientisation et le regroupement des chômeurs-euses vers nos objectifs d’action et de mobilisation »[4]

POUR UNE POLITIQUE NATIONALE D’EMPLOI

Dans le contexte des fermetures d’usines et des pertes d’emploi, résultat de l’exode du secteur primaire et de l’informatisation, le MAC adopte en 1983 une revendication de création d’emploi, avec des emplois de qualité et permanents.[5] C’est ainsi qu’il joindra les rangs de la Marche pour l’emploi qui se prépare, à l’initiative de la CSN.

La Grande marche pour l’emploi a lieu le 28 mai 1983, de Québec à Montréal. Des délégué.e.s continuent ensuite leur chemin jusqu’à Ottawa, porter les revendications au Parlement, dont :

– Le droit à l’information sur tout ce qui concerne les entreprises, leur situation financière, leur programme d’investissements particulièrement au niveau technologique, les politiques gouvernementales de soutien à l’entreprise (subventions directes et indirectes, privilèges fiscaux, etc…) et l’organisation générale de la vie économique;

– Une législation qui force le patronat à assumer les coûts sociaux qu’implique l’introduction de nouvelles technologies;

– La création d’un organisme public pouvant interdire les fermetures d’entreprises avec pouvoir d’enquêter et de développer les alternatives nécessaires;

– La réduction du temps de travail sans perte de salaire et d’autres droits;

– Le congé maternité payé à plein salaire et sans perte d’autres droits.

Au printemps 1986, le MAC adopte deux nouvelles revendications de base :

– Favoriser la reconnaissance et l’affirmation des chômeuses et chômeurs en matière d’assurance-chômage

– Organiser la défense des sans-travail (droits constamment menacés par les coupures effectuées par les gouvernements dans le domaine social).

C’est la fin de la revendication sur la création d’emploi, jugée comme un repli défensif à abandonner par le congrès d’orientation du MAC, qui se recentre sur la défense des sans-emploi.

AXWORTHY : LA CONTRE-RÉFORME CONTRECARRÉE

En 1982, le MAC joue un rôle central dans la création et l’action du Front commun contre les coupures de l’assurance-chômage, qui établit de nouvelles revendications communes populaires et syndicales après les adoptions successives de C-69, C-27 et C-14. Le Front commun revendique des prestations d’assurance-chômage pour les 65 ans et plus, un taux de prestation de 100% pour les 5 premières semaines, l’abolition du délai de carence, le retour de l’admissibilité à 8 semaines d’emploi et une couverture de 104 semaines.

« On s’inquiète surtout du sort des jeunes de moins de 25 ans, qui seront les plus touchés par les restrictions fédérales, à un moment où le Québec envisage de les exclure de son programme d’aide sociale. »[6]

Cette année-là, des rumeurs circulent à l’effet que Lloyd Axworthy, successeur de Bud Cullen comme ministre de l’Emploi et de l’Immigration depuis 1980, prépare une nouvelle attaque contre le régime. Une campagne de congédiement du ministre Axworthy est aussitôt lancée. 3200 avis de congédiement provenant de Montréal sont envoyés au bureau du ministre et les députés libéraux de Montréal sont talonnés par le Front commun. Face à la grogne et appréhendant une difficile fin de mandat, le gouvernement Trudeau ne met pas en place sa contre-réforme, d’avance impopulaire.

Le gouvernement laisse le régime tranquille pour l’instant. Les groupes de sans—emploi peuvent souffler un peu, quitter le mode défensif et soigner leurs solidarités.

En 1984, le MAC demande une amélioration du régime pour les femmes enceintes, pressant le nouveau ministre Roberts d’ « accoucher » et de moderniser le régime d’urgence pour les femmes enceintes aptes au travail. Le MAC tient également une assemblée sur la rémunération du travail des femmes et une autre sur le plein emploi, en continuité de la Grande Marche, et une autre sur la réduction du temps de travail.

Le MAC affiche aussi sa solidarité avec les assisté.e.s sociaux contre les nouvelles mesures du gouvernement Lévesque qui force les prestataires à accepter un travail ou suivre un plan de relèvement sous menace d’être coupé et qui établit des pénalités supplémentaires aux jeunes de moins de 30 ans, qui ne reçoivent que 149$ par mois… Il milite aussi contre le fait que plusieurs caisses populaires imposent des gels fonds de manière discriminatoire aux assistés sociaux et aux chômeur.se.s.

Le MAC de Montréal, en tant que groupe luttant pour le respect des droits des sans-emploi, appuie également l’action de la table de concertation populaire sur les terrains Angus :

La jouissance de ce terrain, qui pendant plus de 70 ans fut une zone industrielle, revient de plein droit à la communauté de travailleu-rs-euses qui y a peiné pendant des années. Puisque maintenant les terrains Angus sont voués à un  développement domiciliaire, suite à la chute d’un empire industriel, il ne serait que juste que ce soit les victimes de la crise actuelle, c’est-à-dire les bas salariés et les sans-emplois qui en profite par l’érection d’une majorité de logements sociaux de qualité. Un logement adéquat à prix raisonnable est une partie essentielle des conditions de vie décentes que le MAC de Montréal revendique.

LE COMBAT DES « CHÔMEURS PRÉ-RETRAITÉS »

En septembre 1984, le MAC est évincé de son local de la rue Saint-Catherine et doit déménager d’urgence dans ses locaux actuels du quartier de la Petite Patrie.

Pire encore, les conservateurs de Mulroney sont élus le 4 septembre 1984 ! Quelques semaines après son élection, le nouveau gouvernement Mulroney annonce des coupures. Désormais, les sommes reliées aux pensions, vacances et indemnités de départ seront calculées et priveront les chômeur.ses d’un chèque pendant plusieurs semaines.

En novembre 1984, le ministre des Finances Michael Wilson laisse entendre à la Chambre des communes que le régime devra être revu de fond en comble, sans plus de précision… Force est de constater que les sans-emploi continueront à payer le prix de la crise économique, une crise qui s’éternise au-delà des projections.

Le gouvernement Mulroney et la ministre McDonald passent à l’attaque et annoncent en janvier 1986 que les revenus de pensions priveront désormais les travailleur.s.es de plus de 60 ans du droit à l’assurance-chômage possiblement…pour le reste de leur vie !

« Depuis le 5 janvier 1986. les modifications apportées par madame Flora Macdonald aux articles 57 et 58 des Règlements de l’Assurance-chômage fait en sorte que les revenus de pension que retirent les retraitées et pré-retraitées sont maintenant déduits de leurs prestations d’assurance chômage. (…) De plus ce règlement les exclut des prestations pour l’avenir même s’ils se requalifient pour l’assurance-chômage, même s’ils continuent alors à payer des cotisations

Aujourd’hui, en pleine partie, on change les règles du jeu. Pourquoi? Ces citoyen-ne-s ont contribué aux régimes d’assurance-chômage pendant 10, 20. 25 voire même 35 et 40 ans, sans souvent jamais en retirer un sou . (…)

Les pré-retraité-e-s et les retraité-e-s considèrent odieux d’avoir encore à défendre des droits de survie, alors qu’elles ont contribué à construire et défendre ce pays pendant 30 ou 40 ans». [7]

Pire encore, la mesure est rétroactive :

« Ce changement s’applique à tous les pré-retraités même ceux qui bénéficiaient de prestations de chômage avant le 5 janvier. La plupart de ces personnes ont d’ailleurs été informées tardivement de cette modification et plusieurs se voient maintenant réclamer ce qu’elles ont reçu en trop entre le 5 janvier et la date d’avertissement. De nombreux appels ont été logés contestant le caractère rétroactif de cette décision. Le ministère de l’Emploi et de l’Immigration indique que 2 900 appels ont été logés, la coalition dit en avoir répertorié beaucoup plus.

Tout dépend des présidents des conseils arbitraux qui entendent les appels. Ceux de Québec ont nettement plus tendance à favoriser les pré-retraités. À Montréal, la plupart des bureaux semblent avoir une attitude contraire ». Au ministère, on confirme cette différence de tendance. »[8]

La mobilisation politique s’organise aussitôt. Le MAC et  les  groupes de défense des retraité.e.s. (AQDR) s’unissent pour créer la coalition RETRAITES 85-86 à Montréal. Un mouvement similaire naît à Québec avec la création l’Association des retraités sans assurance-chômage (ARSAC).

« (…) la plupart ne prennent pas volontairement une retraite anticipée mais y sont forcés par des fermetures d’usine et des licenciements.

Ils se considèrent toujours sur le marché du travail et pensent avoir droit a leurs prestations d’assurance-chômage, même s’ils reçoivent une paie de réparation et une petite pension de leur employeur »[9].  – Marcel Lapalme, président de l’AQDR

Le 18 avril 1986, Brian Mulroney inaugure une usine de transformation de poissons dans sa circonscription de Manicouagan. Il est accueilli sous les huées par des centaines de manifestant.es mécontent.es.

« Un porte-parole du Regroupement des sans-emplois, M. André Lapierre, a remis au premier ministre une pétition de 5,000 noms réclamant l ’abolition de cette mesure, en lui demandant de la déposer aux Communes. « Je vais essayer de faire ce que je peux, a déclaré M. Mulroney, recevant la liasse de feuillets de plus d ’un pouce d ’épaisseur. Je vais essayer d ’être utile, en tentant de régler les problèmes du pays. »[10]

Le 14 mai 1986, une manifestation à lieu devant la colline parlementaire, rassemblant plus d’un millier de personnes qui revendiquent le droit à l’assurance-chômage pour les travailleur.ses âgé.es. La lutte se transporte devant le Conseil arbitral, où des centaines de cas sont contestés.

Après des mois de pression, le ministre Benoît Bouchard annonce en chambre le 5 décembre 1986 qu’un pensionné qui continue à travailler peut avoir recours à l’assurance-chômage. Il revient donc sur sa décision de janvier, mais en limitant l’admissibilité au régime aux pré-retraités s’étant requalifié, en se trouvant un nouvel emploi.

Dans le même discours, le ministre Bouchard s’excuse officiellement pour les mauvais renseignements donnés par la Commission d’assurance-chômage et entend dédommager les prestataires lésés !

Les groupes populaires et les syndicats savourent leur victoire et ce résultat inespéré.

LA COMMISSION FORGET ET LE DÉSASTRE ANNONCÉ

En parallèle de la mobilisation des chômeurs pré-retraités, le MAC garde l’œil ouvert, car le gouvernement Mulroney annonce depuis son élection un chantier plus vaste (et dommageable) sur l’assurance-chômage.  La ministre conservatrice de l’Emploi et de l’Immigration, Flora McDonald tient une commission parlementaire sur l’avenir de l’assurance-chômage en 1985, qui sera suivie l’année suivante par la Commission Forget.

On craint particulièrement les recommandations de cette commission, étant donné les intentions rapidement annoncées de son président. Lors des audiences, Claude Forget élimine tout doute sur sa philosophie, notamment en posant d’emblée les questions suivantes : Est-ce que l’assurance-chômage n’amplifie pas le chômage qu’elle prétend soulager ? Faut-il limiter l’accès aux prestations d’assurance-chômage à un seul individu par famille? En retirer les prestations de maternité? L’assurance-chômage serait-elle mieux gérée par le secteur privé ?[13]. Beau programme…

Les audiences de la Commission Forget se déroulent sous tension. Tout le monde s’attend à un saccage en règle du régime d’assurance-chômage, comme le veut le climat politique de la décennie 1980.

Le MAC y dépose un mémoire le 19 décembre 1985, en lien avec sa double mission de défense des droits des prestataires de l’assurance-chômage et d’élaboration d’une politique cohérente de création d’emplois et de formation professionnelle pour l’ensemble des sans-travail.

Le mémoire attaque le taux de couverture de plus en plus faible du régime :

« Le système d’indemnisation repose sur deux principes, celui d’assurance et celui d’assistance. Ce dernier principe, selon lequel la collectivité garantit un revenu minimum aux travailleurs et travailleuses privé-e-s de revenus directs, est remis en cause depuis déjà un certain temps, par les milieux gouvernementaux et patronaux. Afin de réduire l’impact du régime d’assurance-chômage sur la conjoncture économique, ces milieux préconisent, entre autre, un durcissement quant aux exigences d’admissibilité (…). Modifier en ce sens le régime d’assurance-chômage ne favorisera pas, selon nous, l’assainissement de l’économie, mais pourra donner l’illusion d’une meilleure santé économique.

En effet, le durcissement des mesures éliminera les prestataires qui actuellement se trouvent à la limite de l’éligibilité du régime. Cette fraction importante de la population active ne sera donc plus considérée officiellement en chômage, ce qui réduira artificiellement le taux de chômage ».

Une forte dissidence entre les membres de la Commission édulcore les positions défendues par son président, Claude Forget. Le scénario de départ, où 78% des prestataires étaient touchés par les coupures, ne sera pas réalisé[14], après plusieurs débats houleux et très médiatiques entre Forget et les deux commissaires syndicaux, Frances Soboda et Jack Munro.[15] Plusieurs provinces argumentent, à raison, que ces coupures ne feront qu’augmenter le nombre de prestataires des programmes provinciaux d’aide sociale. On accuse Ottawa de vouloir « pelleter ses pauvres » dans la cour des provinces.

La Commission Forget dépose finalement son rapport le 30 novembre 1986. Mais un mois avant son dépôt, le ministre Bouchard annonce qu’il n’y aura aucun changement au régime avant 1988[16]. Le temps de digérer les recommandations de la commission selon le ministre…ou de ne pas procéder à un impopulaire saccage du régime juste avant une élection générale.

Bien que tout laissait croire que les recommandations du rapport Forget seraient appliquées par le gouvernement Mulroney, elles resteront lettre morte, pour un temps du moins.

UNE VIE ASSOCIATIVE TOUJOURS MOUVEMENTÉE

Du côté de la vie associative, les années 1986 et 1987 sont marqués par plusieurs crises internes qui viendront ébranler le MAC. D’abord, en janvier 1986, la permanence démissionne en bloc. « On lui reproche une pratique trop axée sur le service. On déplore également l’absence de prise en charge de l’organisme par ceux et celles qu’il prétend défendre, résultant d’un trop grand fossé entre les permanents et les membres. »[17]

Les reproches adressés à la permanence par certain.es militant.e.s s’inscrivent dans la tension présente depuis la naissance du MAC entre service individuel et action collective, entre postures idéologiques à privilégier et moyens à préconiser. Comme ce fut le cas lors des crises de 1976 et 1978, on craint pour la bureaucratisation du MAC, résultat inévitable selon certain.es de la présence de permanent.es salarié.es. De son côté, la permanence refuse d’être le bouc-émissaire du contexte politique difficile des années 80 et de la perte d’élan du mouvement populaire, tout comme de la difficulté de mobiliser des chômeur.ses sur le long terme. Critiquée pour avoir professionnalisé le MAC et freiner l’implication des militant.es, la permanence démissionne en bloc en janvier 1986 : « Nous avons fait un choix, celui de vous céder la place.».

En 1987, le MAC poursuit sa réorganisation et compte sur deux permanent.es qui travaillent uniquement sur des dossiers de mobilisation et d’action politique, notamment avec les comités stratégie et regroupement, laissant le service à un comité composé exclusivement de militant.e.s. Ce choix, symbole d’un virage très marqué vers l’action collective et la mobilisation, menace le financement du MAC. L’organisme est mis sous tutelle par Centraide et sa survie est menacée.

Pour en rajouter, un conflit d’ordre administratif éclate et divise le MAC à l’automne 1987. Suite à une assemblée générale particulièrement houleuse, la permanence ne reconnaît pas la légitimité du nouveau conseil d’administration élu, geste qui lui vaudra d’être remerciée.

L’ancienne permanence se joint aussitôt aux efforts du Comité chômage du sud-ouest de Montréal (CCSOM) et de plusieurs chômeur.ses de Hochelaga pour implanter un groupe de défense des sans-emploi dans le quartier. Le Comité chômage de l’Est de Montréal était né.

Le MAC termine le présent chapitre en mauvaise posture. Encore une fois, il devra se ressaisir rapidement, car une période d’intense torpillage du régime d’assurance-chômage commence bientôt. Réélu en 1988, Mulroney mettra en application plusieurs recommandations (majoritaires) de la Commission Forget. Ça va faire mal !

Prochain chapitre :  le hachoir à viande (1988-1993)

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[1]  Document interne, MAC de Montréal, Louise Proulx, 1980.

[2] Communiqué de presse, MAC de Montréal 25 mai 1981

[3] Manifeste du MAC de Montréal, 1981

[4] Document interne, MAC de Montréal, 1982

[5] Les chômeurs réclament des emplois permanents, Dimanche Matin, 10 avril 1983

[6] Assurance-chômage : une coalition dénonce els restrictions projetées, Paule des Rivière, Le Devoir, 13 février 1982

[7] Les retraité-e-s et pré-retraité-e-s repartent en guerre, Vie ouvrière, juin-juillet 1986

[8] Les pré-retraités préparent une manif pour le 14 mai, La Presse, 8 mai 1986

[9] Prestations d’assurance-chômage refusées : Pré-retraités et retraités s’unissent, Manon Cornellier, La Presse, 14 avril 1986

[10] Mulroney fait face à une première manif à Sept-Îles, Le Devoir, 19 avril 1986

[11] Les pré-retraités qualifient l’attitude de Bouchard de « cynisme politique », Laurent Soumis, Le Devoir, 11 décembre 1986

[12] Document interne, MAC de Montréal, janvier 1987

[13] L’assurance-chômage au banc des accusés. Claude Forget lui prépare quelques réformes radicales, L’actualité, mars 1986, p. 15-19

[14] Les provinces pourraient écoper des « nouveaux assistés sociaux » Forget recommande de couper $ 1 milliard dans les prestations des chômeurs québécois, Laurent Soumis, Le Devoir, 15 octobre 1986

[15] Des dissensions au sein de la Commission Forget : Mulroney promet de ne pas faire d’économiques sur le dos des chômeurs, Maurice Jannard, La Presse, 15 octobre 1986

[16] Avant même le dépôt du rapport Forget : L’assurance-chômage gelée jusqu’en 1988, La Presse, 30 octobre 1986

[17] Le MAC : 20 ans de pratique sociale, Claude Girard, Nouvelles pratiques sociales, vol.2, no 2, 1989