Roman-feuilleton – chapitre 8 : le saccage de Harper (2012-2014)

Textes et analyses | 11 novembre

En 2020, le MAC de Montréal fête ses 50 ans. Pour souligner cet heureux anniversaire et découvrir la riche histoire de notre organisme de défense des sans-emploi, nous publions le roman-feuilleton Le MAC, 50 ans de luttes.

Au menu cette semaine : les chômeur.ses face aux attaques du gouvernement Harper, la lutte à l’austérité et le projet péquiste de rapatriement du régime.

Retour à la table des matières

LE SACCAGE DE HARPER

Personne n’a vu venir ce que l’on nommera rapidement le « saccage » de l’assurance-chômage par les conservateurs de Stephen Harper. Autant chez les observateurs politiques que chez les groupes de défense des droits des chômeur.ses. Début 2012, on se prépare plutôt au budget fédéral qui sera présenté le 29 mars par le ministre des Finances Jim Flaherty. Le MAC craint des annonces de coupures dans les services publics et la fonction publique. En effet, depuis l’élection fédérale de 2011 et l’obtention d’un mandat majoritaire par les conservateurs, la machine administrative de l’assurance-chômage tourne au ralenti.

En janvier 2012, des milliers de travailleur.ses doivent attendre 8 semaines avant de toucher leur premier chèque d’assurance-chômage.  Service Canada est débordé par les demandes. Le MAC et les groupes du MASSE dénoncent la situation dans les médias.

« Une Montréalaise a fait une demande d’assurance-emploi le 19 septembre après avoir perdu son emploi. Elle a dû attendre au 12 janvier pour avoir la réponse de Service Canada, soit bien au-delà des 28 jours de délai annoncé (…) »[1].

La conservatrice Diane Finley, ministre canadienne des Ressources humaines et du Développement des compétences depuis 2008, est vite interpellée.

 « Depuis plusieurs années, la ministre Finley  a réduit le nombre d’agents au profit d’un système automatisé du traitement des demandes de prestations qui ne livre pas la marchandise.

Elle semble se foutre complètement des préjudices causés aux prestataires » [2]

Devant le mépris et le refus d’agir de la ministre Finley, les groupes du MASSE lancent une campagne où les sans-emploi sont invités à lui remettre une lettre de congédiement signée de leur main. La lettre congédie la ministre « pour manque de respect envers les travailleurs et travailleuses victimes de chômage et ce, particulièrement pour les raisons suivantes :

– Le retrait du droit des employé-e-s à recevoir une copie de leur relevé d’emploi lorsque l’employeur le produit électroniquement (RE Web);

– Son incapacité (ou refus) à améliorer la prestation de services, de réduire les délais de traitement et son refus d’engager du personnel compétent supplémentaire;

– Son obstination à détourner les surplus de la Caisse d’assurance-emploi et son refus de bonifier le régime afin que l’ensemble des victimes du chômage soient protégées. »[3]

Le 28 mars 2012, une large délégation du MASSE se rend au bureau de Diane Finley sur la colline parlementaire « pour lui remettre son 4% et sa pile de relevés d’emploi ». [4] Des milliers de lettres de congédiement sont remises à l’adjointe de la ministre, Diane Finley étant…absente !

Le lendemain, le ministre Flaherty présente son budget à la Chambre des communes. Les appréhensions sont grandes et les milieux syndical et communautaire s’inquiètent déjà des coupures dans la fonction publique et les services, suite logique des récents états de service du gouvernement Harper.

UNE RÉFORME CACHÉE DANS UN BUDGET

Un mois plus tard, le 26 avril 2012, les conservateurs présentent à la Chambre des communes le projet de Loi portant exécution de certaines dispositions du budget et mettant en œuvre d’autres mesures… Le projet de loi C-38 est épais de 498 pages et compte 753 articles, ce qui lui vaudra le nom de Loi Mammouth, et contient, sans aucun préavis, de nombreuses réformes touchant différents ministères. Au lieu de présenter des projets de loi spécifiques, les troupes de Harper court-circuitent les mécanismes du Parlement et espère ainsi adopter sans trop de consultations d’importantes et néfastes mesures qui n’étaient même pas prévues dans dans son budget. Les chômeur.ses sont directement attaqués par les conservateurs de Harper, qui renouvellent en quelque sorte leur travail de destruction de l’assurance-chômage opéré sous Brian Mulroney.

« Le gouvernement Harper continue ni plus, ni moins, le travail que les gouvernements canadiens, avec la bénédiction du patronat, font depuis plus de 20 ans.» [5]

C-38 prévoit deux attaques contre les chômeur.ses. D’abord, la modification de la définition d’ « emploi convenable », créant un système punitif qui sanctionne les « chômeurs fréquents » en les obligeant à chercher un emploi sous-payé.

Ensuite, un changement complet du processus d’appel pour les prestataires qui contestent une décision de la Commission de l’assurance-emploi.  Les instances d’appel à l’assurance-chômage depuis 72 ans, le Conseil arbitral et le juge-arbitre, sont remplacées par le nouveau Tribunal de la sécurité sociale, dont on ne sait encore rien.

Pour le MAC, les deux mesures sont liées : Ces « changements au régime d’assurance-chômage consacrent l’affaiblissement, sinon la perte du droit à la protection contre le chômage pourtant reconnu par la Déclaration universelle des droits de la personne. Et comme pour s’assurer que les victimes du chômage ne puissent contester aisément les milliers d’exclusions qui en découleront (on prévoit que les nouvelles règles excluront pas moins de 8000 prestataires dès leur première année d’application), le gouvernement a pris soin de démanteler les tribunaux administratifs, qui permettaient jusque-là à un prestataire de faire valoir ses droits d’une manière que la plupart des intervenants jugeaient simple, rapide et efficace. » [6]

Tout au long de l’année, le MAC se mobilise pour informer les sans-emploi des impacts concrets de ces deux changements qui doivent prendre effet en 2013.

L’EMPLOI CONVENABLE

Suite à l’annonce de C-38, un intense travail d’analyse débute pour mieux cerner la nouvelle mécanique de l’ « emploi convenable » et ses répercussions.

« De tout temps, les prestataires étaient tenus d’être disponibles et capables de travailler, ce que l’on démontre habituellement par une recherche d’emploi active. Toutefois, la loi leur permettait de refuser un emploi non convenable. De manière générale, pour être jugé convenable, il devait s’agir d’un emploi dans le même domaine et au même salaire que celui occupé antérieurement; sauf exception, un prestataire ne pouvait être pénalisé s’il refusait un emploi lui offrant des conditions inférieures à celles dont il jouissait. C’est précisément cela que C-38 est venu changer ».[7]

C-38 prévoit la création de trois catégories de chômeur.ses, en fonction de leurs antécédents de chômage : les travailleurs de longue date, les prestataires occasionnels et les prestataires fréquents. Un spectre qui va donc du « bon travailleur » au « mauvais pauvre ».

« Dorénavant, la définition de ce qui constitue un emploi convenable variera selon les antécédents de chômage du prestataire. (Les) travailleurs de longue date jouiront d’une période de 18 semaines pendant laquelle ils devront accepter un emploi dans le même domaine d’activités et à 90% de leur salaire inférieur, à la suite de quoi le seuil baissera à 80%.

Les prestataires occasionnels seront soumis à des barèmes plus bas. En outre, tout emploi répondant à ces critères et accessible à moins d’une heure de déplacement du domicile sera jugé convenable.[8]

Les prestataires fréquents (ou « mauvais chômeurs ») sont ceux qui ont présenté trois demandes de prestations ou plus et bénéficié d’au moins 60 semaines de prestations au cours des 5 dernières années.

Ils sont tenus d’accepter tout emploi semblable à leur emploi habituel et à 80% de leur salaire horaire antérieur au cours des 6 premières semaines de leur période de chômage. À compter de la septième semaine, le seuil diminuera à 70% pour tout emploi pour lequel ils sont qualifiés. Au-delà de ce seuil, le seul emploi qui sera considéré non convenable en sera un de… briseur de grève. [9]

Mais qui sont ces « prestataires fréquents ?  De toute évidence, la main-d’œuvre de l’industrie saisonnière et les salarié.es précaires, en immense majorité les femmes, les jeunes et les immigrant.es[10], qui pour recevoir leurs prestations seront forcés d’accepter des emplois à rabais. Pour le MAC, cette catégorisation des prestataires selon leur « historique de travail » précarise les plus précaires.

« Ces changements auront un impact évident sur les travailleurs saisonniers, qui tomberont pour la plupart dans la catégorie des prestataires fréquents.

On imagine sans peine ce que ça aura comme conséquence dans les régions où par définition, le travail est de nature saisonnière.

Pour les employeurs, ce sera désormais encore plus facile d’utiliser la pression créée par le fait qu’il existe un immense bassin de sans-emploi par ailleurs tenus d’accepter des emplois à des salaires moindres pour exercer une pression à la baisse sur leurs propres salariéEs, particulièrement en milieu non-syndiqué.

Il s’agit d’un important changement de philosophie, dans le sens où jusqu’à maintenant, les droits des prestataires étaient déterminés essentiellement par leurs antécédents de travail, et non de chômage. Cette nouvelle façon de voir met l’accent sur la responsabilité individuelle des chômeurs, par opposition à une responsabilité collective face  au problème du chômage. »[11]

LE TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Avec C-38, le gouvernement Harper met aussi aux poubelles les tribunaux administratifs d’assurance-chômage et crée un nouveau tribunal.

«  Les tribunaux administratifs (conseil-arbitral et juge-arbitre), qui permettaient aux prestataires de contester les décisions de la Commission de l’assurance-emploi, seront abolis et remplacés, à compter du 1er avril prochain, par un nouveau tribunal – le Tribunal de la sécurité sociale – dans le but avoué de réduire de manière importante le nombre d’appels logés par les prestataires. (…)

Le gouvernement conservateur a compris qu’en entravant l’accès à la justice, il lui sera plus facile de restreindre le droit à la protection contre le chômage. » [12]

« Par rapport aux autres systèmes d’appel (tribunaux), celui de l’assurance-chômage, toutes proportion gardées, était plus rapide. Il se caractérisait notamment par sa cordialité, son efficacité, sa rigueur et une part d’humanisme. Plusieurs prestataires ayant pourtant perdu leur cause devant le conseil arbitral, faisaient remarquer que c’était souvent la première fois dans le cadre administratif du système d’assurance-chômage que des êtres humains prenaient la peine de les écouter. Tout cela est mis aux poubelles par le gouvernement conservateur. »[13]

En plus de créer le Tribunal de la sécurité sociale (TSS), le gouvernement Harper rend obligatoire l’étape de la révision administrative, une étape de plus dans un processus de contestation dorénavant long et ardu.

Et avant même que son projet de loi entre en vigueur, le gouvernement conservateur en rajoute une couche en augmentant les contrôles des masse, poursuivant sa logique punitive envers les chômeur.ses.

« Pendant l’arrivée des nouvelles mesures légales et réglementaires concernant l’emploi convenable et les exigences imposées aux prestataires dans leurs démarches pour trouver du travail et qui nous ramènent 50 ans en arrière, la Commission de l’assurance-chômage prend les devants et accentue les contrôles.

But visé : mettre de la pression, harceler et éventuellement, couper les prestations. »[14]

On assiste à un nombre record de convocations à des séances d’information obligatoires, alors que le Département d’enquêtes et contrôle devient le Centre de prévention des Services d’Intégrité à la mi-octobre 2012. [15]

« C’est donc à de l’intimidation et du harcèlement que se livre le gouvernement conservateur envers les travailleurs du Canada.

CHEZ NOUS, C’EST NON AU SACCAGE DE L’ASSURANCE-CHÔMAGE !

Les modifications au régime d’assurance-chômage ayant été présentées en catimini, il a fallu quelques semaines avant que l’on en prenne la véritable mesure et que la résistance s’amorce. Au mois de juin 2012, les membres du Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi (MASSE) en discutent en assemblée générale. Membre de l’équipe de travail du MAC et du comité de coordination du MASSE, Jacques Beaudoin raconte :

« Il était clair, pour tous les groupes membres du MASSE, que la lutte contre cette réforme s’imposait comme une priorité, qu’il fallait en faire une mobilisation populaire. L’assemblée générale a adopté un plan d’action simple, mais déterminé : organiser des assemblées d’éducation populaire dans un maximum de régions et inviter tout le monde à participer à une grande manifestation le 27 octobre à Thetford Mines, devant les bureaux du ministre Christian Paradis, qui était alors le “lieutenant politique” de Stephen Harper au Québec. »

À Montréal, le Comité chômage de l’Est de Montréal et le MAC se mettent en action. Ils alertent le Conseil central du Montréal métropolitain de la CSN et le Conseil régional de la FTQ, ainsi que leurs alliés du milieu communautaire. Une assemblée d’information est convoquée le 6 septembre. Près de 150 personnes y participent.

Un thème rassembleur s’impose : « Non au saccage de l’assurance-chômage! »

« Des assemblées similaires ont lieu partout où il y a des groupes membres du MASSE. Le MAC de Montréal y participe, à Sherbrooke, Forestville et Sacré-Cœur. Cette campagne de mobilisation, qui s’étend sur plusieurs semaines et porte sur un enjeu dont on entend très peu parler dans les médias, s’avère fructueuse. Le 27 octobre, ce sont plus de 2 000 personnes qui manifestent à Thetford Mines et se rassemblent devant le bureau du ministre Paradis. Organisée par le MASSE, la manifestation est appuyée par la CSN, la FTQ, la CSD, la CSQ et le SFPQ. »[16] Une alliance est ainsi créée.

Le même jour, 2 000 personnes manifestent à Pointe-à-la-Croix, avec les groupes membres du MASSE en Gaspésie et au Bas-Saint-Laurent. Les manifestantes et manifestants traversent le pont J-C Van Horne et rejoignent leurs camarades du Nouveau-Brunswick à Campbellton. La mobilisation des travailleurs et travailleuses des industries saisonnières dans cette province, qui verra se multiplier les occupations de bureaux et le blocage du centre-ville à Tracadie-Sheila, aura un impact considérable dans les mois qui suivront.

Malgré l’opposition qui commence à se faire entendre, le gouvernement Harper ne bronche pas et en rajoute. Le ministre des Finances Jim Flaherty déclare : « Il n’y a pas de mauvais emploi. Le seul mauvais emploi, c’est de ne pas avoir d’emploi. » Alors ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, Diane Finley explique de façon candide le véritable objectif de la réforme :

« Nous voulons nous assurer que les McDonald’s de ce monde n’ont pas à faire venir des travailleurs étrangers temporaires pour faire le travail que des Canadiens sur l’assurance-emploi ont les compétences de faire. »

Elle répondait alors à une intervention d’une enseignante à statut précaire, qui s’inquiétait de devoir être obligée d’accepter un emploi dans un autre domaine entre deux contrats. Les chômeur.ses perdent donc leur droit à chercher un emploi convenable pour eux et contester une décision défavorable de la Commission sera un chemin de croix. C-38 entre en vigueur le 6 janvier 2013 en ce qui a trait à l’emploi convenable. Le Tribunal de la sécurité sociale commence quant à lui à « fonctionner » le 1er avril 2013.

Néanmoins, la mobilisation populaire s’intensifie pour tenter de bloquer le saccage. Le 4 mars, la Coalition québécoise contre la réforme de l’assurance-emploi est créée. Elle rassemble 25 organisations nationales, dont le MASSE, qui représentent plus de 1,2 million de salarié.es, 200 000 étudiantes et étudiants, quelque 43 000 productrices et producteurs agricoles et plus de 1 300 municipalités et MRC. Le jour même, un « spectacle-événement » rassemble plusieurs centaines de personnes à la salle La Tulipe.

À Montréal, le MAC est un des instigateurs de la Coalition montréalaise contre la réforme de l’assurance-chômage, avec de nombreux alliés syndicaux et communautaires. Le MAC fait sa part pour mobiliser le plus grand nombre de gens, et pas seulement qu’à Montréal! L’organisme anime des rencontres sur le saccage à Joliette, Mont-Laurier, et jusqu’à Baie-Trinité, Sept-Îles et Havre-Saint-Pierre sur la Côte-Nord.

Le 9 avril, les groupes montréalais, dont le MAC, occupent pendant une heure les bureaux de Service Canada au Complexe Guy-Favreau. L’écriteau à l’entrée perd son « R » et le bureau se voit rebaptisé « Sévice Canada ».

Trois semaines plus tard, le 27 avril, la mobilisation atteint un point culminant, alors que 50 000 personnes venues de partout au Québec prennent la rue à Montréal, à l’appel de la coalition québécoise, pour exiger le retrait de la réforme Harper. Le MAC se joint au contingent populaire contre les mesures d’austérité, dont le slogan est « Assurance-chômage, aide sociale : deux réformes, une même logique : le cheap labour ! ».

Les actions contre le saccage se poursuivront tout au long de l’année. Une manifestation est tenue le 22 août à Montréal. Le 2 octobre a lieu un rassemblement à l’occasion des audiences de la Commission nationale d’examen sur l’assurance-emploi. Sur le tract de l’événement, on peut lire :

« À Montréal comme partout ailleurs la réforme conservatrice de l’assurance-emploi frappe durement les travailleurs et travailleuses.

– Elle oblige les prestataires à accepter n’importe quel emploi sans égard è leur formation, leur expérience et leurs intérêts;

– Elle force les chômeurs et chômeuses à accepter des emplois sous-payés à plus d’une heure de leur domicile

– Elle accentue la stigmatisation, la surveillance et le contrôle des personnes sans-emploi;

– Elle restreint l’accès à la justice par la création d’un nouveau tribunal moins accessible et transparent;

– Elle crée une pression à la baisse sur les salaires et conditions de travail de l’ensemble des travailleurs et travailleuses[17]

En 2014, MAC crée la Coalition d’action solidaire contre l’austérité (CASA) avec des alliés, notamment le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI) et le Comité chômage de l’Est de Montréal. La CASA organisera actions et ateliers sur les coupures à l’aide sociale, le saccage de Harper, le droit de manifester (affaibli par P-6), le contrôle des loyers, la gentrification et la destruction en règle du service postal public.

Le « premier anniversaire » du saccage de l’assurance-chômage est souligné par une manifestation devant le Centre Service Canada de Verdun le 1er avril 2014.

En août 2014, lors du Forum social des peuples à Ottawa, la Coalition québécoise contre la réforme de l’assurance-emploi organise un Tribunal populaire où le gouvernement Harper est mis en accusation pour le saccage.

Garder en vie la mobilisation contre une loi qui a pourtant déjà été adoptée a pour but de maintenir l’enjeu de l’assurance-chômage en vue des prochaines élections fédérales.

« Comme on le sait, l’année 2015 sera une année électorale.(…)Le MAC de Montréal et les groupes membres du MASSE comptent profiter de cette échéance non seulement pour continuer à exiger le retrait de la réforme Harper, mais pour remettre au premier plan l’enjeu que représente l’existence d’un régime d’assurance-chômage universel qui réponde aux besoins des travailleurs et des travailleuses. »[18]

Comme nous le verrons au prochain chapitre, la stratégie s’avèrera payante. Fraîchement élu, le gouvernement libéral de Justin Trudeau annulera les nouvelles dispositions sur l’emploi convenable, entre autres.

« Ce que je retiens de cette période de mobilisation, c’est d’abord l’engagement et le dévouement des groupes membres du MASSE dans les diverses régions. Avec très peu de moyens, mais une volonté inébranlable de défendre les droits des travailleurs et travailleuses de leurs milieux respectifs, ces groupes ont réussi un véritable tour de force. Même chose pour la permanence du MASSE, qui a joué un rôle central pour former une alliance unitaire avec les centrales syndicales. Ça a été une fierté, pour le MAC, de faire sa part dans cette bataille. »[19]

LE TRIBUNAL DE L’INSÉCURITÉ SOCIALE

Le Tribunal de la sécurité sociale entre en fonction le 1er avril 2013 et les craintes ne se dissipent pas quant aux dérives d’un nouveau système d’appel créé sans autres explications que de compliquer le processus pour les prestataires qui contestent une décision et ainsi réduire leur nombre et de ce fait les coûts de fonctionnement du nouveau tribunal.

Le MAC s’investit pleinement dans la documentation du nouveau système et de ses impacts néfastes sur les chômeur.ses.

Rapidement, la révision administrative obligatoire montre de nombreuses failles. « Depuis l’introduction de la révision administrative en avril 2013, le modus operandi de la CAEC varie d’un dossier à l’autre. Selon les praticiens interrogés, il semble que lorsqu’un prestataire agit sans l’aide d’un représentant, la CAEC ne divulgue au prestataire ni sa preuve, ni ce qui lui est reproché explicitement. Alors que la Commission fait souvent preuve de plus de transparence quand elle est confrontée à un prestataire accompagné d’un représentant. »[20]

De son côté, le Tribunal de la sécurité sociale se révèle sans surprise un frein à la contestation de par sa bureaucratie kafkaïenne, sa lenteur et son opacité. Présenté par le gouvernement Harper comme un tribunal électronique, le TSS n’a aucune capacité de traitement et tout se fait par la poste et le fax.

La procédure d’appel est également décourageante. Pour contester une décision de révision administrative, on doit porter appel à la division générale du TSS. Cette dernière peut refuser d’entendre le dossier. On doit alors porter en appel ce refus d’entendre le dossier à la division d’appel qui retournera ou pas la cause à la division générale. Si la division générale entend la cause et que le jugement est défavorable au prestataire, ce dernier doit alors contester devant la division d’appel, qui peut elle aussi tout bonnement refuser d’entendre l’appel. Sous le précédent système du Conseil arbitral et du juge-arbitre, toutes les causes étaient entendues d’office.

Cette procédure abjecte ralentit considérablement le traitement des appels, les délais étant 4 fois plus longs à la division générale du TSS qu’au Conseil arbitral. « Il se passe donc maintenant plus de huit mois entre le moment où la personne reçoit une décision négative et le moment où elle recevra finalement une décision finale dans on dossier. Est-il besoin de rappeler que pendant tout ce temps, cette personne ne recevra pas un sous de prestations? »[21]

L’opacité de la procédure du TSS a également l’effet escompté par les conservateurs, alors que les contestations diminuent en flèche.

« Entre le 1er avril et le 30 novembre 2013, seules 287 audiences ont été tenues alors que 1 776 appels ont été déposés. À titre comparatif, pour 2012-2013, 20 099 appels avaient été déposés au Conseil Arbitral. Sur ces maigres 287 audiences, seules 55 appels ont été accueillis, pour 232 rejetés. » [22]

Le MAC représente maintenant les prestataires devant le TSS, comme il le faisait depuis 1972 au Conseil arbitral. Réduction de coûts oblige, le TSS, n’a pas de bureau à Montréal, sa seule adresse étant à Ottawa, bien que sa juridiction couvre l’ensemble du Canada ! Quand elles se déroulent en personne, les audiences ont plutôt lieu dans les bureaux de Service Canada… la partie adverse au dossier !

Tout en poursuivant sa mission de défense individuelle des chômeur.ses devant le tribunal, le MAC en profite pour en documenter les (nombreuses) failles. Il poursuit aussi ses représentations politiques et administratives pour que le TSS, à défaut d’être aboli, soit amélioré.

« Avec de tels résultats, le ministre Jason Kenney peut-il encore prétendre aujourd’hui comme le fait son gouvernement pour justifier cette réforme, que le but recherché est toujours de “simplifier le processus et de le rendre beaucoup plus efficace”? S’il ne corrige pas le tir, il sera permis de croire que le véritable souhait de ce gouvernement était de mener la vie dure aux chômeurs et chômeuses en faisant pratiquement disparaître leur droit d’être entendu. »[23]

Le MAC et les groupes de défense des travailleur.ses et des sans-emploi dénoncent également que le nouveau tribunal, violant ainsi l’équité procédurale la plus élémentaire. En janvier 2014, un appel est lancé pour créer une banque de jurisprudence « populaire » du TSS. Les représentant.es de prestataires sont interpelé.es pour qu’ils et elles partagent les décisions rendues.

« Neuf mois après sa création, le TSS ne publie toujours pas ses décisions.

Ses responsables expliquent qu’une sélection des décisions sera éventuellement publiée, sans toutefois que l’on sache quand, ni comment. (…) le fait de ne pas publier les décisions du TSS crée un déséquilibre entre les parties et porte atteinte à la capacité des prestataires de plaider leur cause correctement, dans la mesure où de son côté, la Commission de l’assurance-emploi reçoit une copie de toutes les décisions du tribunal. »[24]

Comme nous le verrons au prochain chapitre, fruit de la persévérance des groupes du MASSE, des améliorations importantes seront apportées su Tribunal de la sécurité sociale.

LE RAPATRIEMENT DU RÉGIME

Le 18 novembre 2011, Pauline Marois annonce qu’elle « veut organiser une vaste coalition de tous les partis pour demander le rapatriement de la portion québécoise du régime d’assurance-emploi »[25]. Pour en améliorer l’accès, mais aussi développer la formation de la main-d’œuvre en arrimant une assurance-chômage provinciale avec les programmes d’employabilité d’Emploi-Québec. Le Parti québécois annonce également que les employeurs sortiront gagnants du rapatriement et que l’exercice permettra même de faire baisser les cotisations de tout le monde ! Quant au manque à gagner prévu de quelque 500 millions de dollars, on compte l’effacer en coupant dans les frais d’administration du régime, sans rien préciser. [26]

Rapidement, le MAC et son regroupement national se positionnent contre le projet. « Indépendamment du caractère à première vue irréaliste de cette proposition, le MASSE rejette l’idée d’un rapatriement du régime d’assurance-chômage et n’a aucunement l’intention de se rallier à une éventuelle “coalition” qui se proposerait d’en faire la promotion : nous préférons d’emblée continuer à nous battre pour une réforme en profondeur du régime afin qu’il réponde aux besoins des travailleurs et travailleuses. Telle que pilotée par le Parti québécois, la proposition de rapatriement du régime n’offre aucune perspective concrète d’amélioration pour les chômeurs et chômeuses. (…)

La proposition de rapatriement du régime conforte et encourage le désengagement du gouvernement fédéral quant à l’offre et l’administration des programmes sociaux. La proposition mise de l’avant par le PQ consacre le détournement des fins du régime d’assurance-chômage (c’est-à-dire l’indemnisation des chômeurs et chômeuses) au profit des mesures actives dites “d’employabilité”. La misère des chômeurs et des chômeuses ne devrait pas servir à des fins de stratégie politique. (…) En pratique, c’est à se demander si l’objectif de cette proposition n’est pas seulement d’amener le fédéral à dire “non“ au Québec, ce qui pourrait créer des “conditions gagnantes” à la tenue d’un éventuel référendum sur la souveraineté. Cette stratégie est peut-être louable, mais en attendant, les chômeurs et les chômeuses ont besoin d’améliorations concrètes. »[27]

Au-delà des considérations pratiques concernant le rapatriement, le MAC croit que la question est une bien mauvaise distraction alors que la lutte contre le saccage de Harper bat son plein.

« Si le Parti québécois veut véritablement rapatrier le régime d’assurance-chômage, qu’il engage un véritable débat rigoureux sur la question. S’il veut plutôt demander à Ottawa quelque chose qu’il sait très bien qu’il n’obtiendra jamais, pour se faire du capital politique dans sa perspective de “gouvernance souverainiste”, qu’il ne prenne pas en otage les chômeurs. Ceux-ci ont une dure lutte à mener. Ne détournons pas leur énergie et leur attention. »[28]

La question sera finalement étudiée par la Commission Duceppe, qui rend son rapport le 27 novembre 2013. Le rapport n’aura jamais de suite, le gouvernement Marois étant battu par les libéraux de Philippe Couillard aux élections de 2014. La question du raptriement a perdu en popularité depuis 2013, mais elle revient parfois dans les débats dans les groupes de chômeur.ses. La position du MAC reste la même : « Le problème du régime d’assurance-chômage n’en a jamais été un de juridiction : il s’agit au fond de savoir si nous voulons, collectivement, prendre les moyens pour nous donner un régime qui assure une protection digne de ce nom aux travailleurs et travailleuses en chômage. »[29]

Prochain chapitre : le rafistolage de l’assurance-chômage (2015-2020)

Retour à la table des matières

[1] Assurance-emploi : les délais explosent, Mélissa Guillemette, Le Devoir, 1er février 2012

[2] « Le Mouvement Action-Chômage déplore les délais de traitement, Myriam Gauthier, Le Quotidien, 27 janvier 2012

[3] « Les délais c’est assez, congédions la ministre Finley !, communiqué de presse, MAC de Montréal, février 2012

[4] « Des délais franchement inacceptables! », Jacques Beaudoin, InfoMAC, hiver 2012

[5] Rapatriement de l’assurance-chômage, un peu de rigueur s.v.p. », Hans Marotte, MAC de Montréal

[6] Réforme de l’assurance-chômage : Quand la perte de l’accès à la justice rejoint celle des droits économiques et sociaux, Jacques Beaudoin, MAC de Montréal, date inconnue

[7] Ibid.

[8] Ibid

[9] Ibid.

[10] La réforme de l’assurance-chômage, une attaque contre les droits des femmes, des jeunes et des immigrants, document interne, MAC de Montréal, décembre 2013

[11] Réforme de l’assurance-chômage : Quand la perte de l’accès à la justice rejoint celle des droits économiques et sociaux, loc. cit.

[12] Ibid.

[13] « Sommaire des changements à l’assurance-chômage », MAC de Montréal, 2012

[14] « Alerte ! Les contrôles de masse arrivent !!!, MAC de Montréal, 1er novembre 2012

[15] Ibid.

[16] Jacques Beaudoin, propos recueillis par l’auteur.

[17] Tract pour le rassemblement du 2 octobre, Coalition montréalaise contre la réforme de l’assurance-emploi

[18] « Ensemble, élaborons notre programme d’assurance-chômage », document d’animation de la journée de réflexion du 4 octobre 2014, MAC de Montréal

[19] Jacques Beaudoin, propos recueillis par l’auteur.

[20] «  Le nouveau mécanisme d’appel des décisions de l’assurance-emploi : quelques repères et commentaires à l’intention du Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi », Stéphan Corriveau, 19 décembre 2013

[21] « Assurance-chômage : « le ministre Kenney doit corriger le tir », Hans Marotte, MAC de Montréal, lettre d’opinion publiée le 19 juin sur le site web du Journal de Montréal

[22] Note interne, chiffres tirés du Devoir du 6 janvier 2014.

[23] « Assurance-chômage : « le ministre Kenney doit corriger le tir », loc. cit.

[24] Tribunal de la sécurité  sociale : le MAC de Montréal rendra les décisions accessibles, communiqué de presse, MAC de Montréal, 9 janvier 2014

[25] « Marois veut une coalition pour le raptriement de l’assurance-emploi », Lia Lévesque, La Presse Canadienne, 18 novembre 2011

[26] Pauline Marois veut rapatrier l’assurance-emploi, Gilles Gagné, Le Soleil, 3 décembre 2011.

[27] Pourquoi nous n’appuyons pas le rapatriement du régime d’assurance-chômage, MASSE, InfoMAC hiver 2012

[28] « Rapatriement de l’assurance-chômage, un peu de rigueur s.v.p. », loc. cit.

[29] Réaction du MAC au rapport de la commission Duceppe : Un travail sérieux, dont les conclusions ne sont toutefois pas à la hauteur », communiqué de presse, MAC de Montréal, 27 novembre 2013