Roman-feuilleton – chapitre 9 : le rafistolage de l’assurance-chômage (2015-2020)

Textes et analyses | 11 février

En 2020, le MAC de Montréal fête ses 50 ans. Pour souligner cet heureux anniversaire et découvrir la riche histoire de notre organisme de défense des sans-emploi, nous publions le roman-feuilleton Le MAC, 50 ans de luttes.

Au menu de notre dernier chapitre : le rafistolage du régime d’assurance-chômage, la discrimination envers les femmes…et une pandémie !

Retour à la table des matières

LA FIN DE RÈGNE DES CONSERVATEURS DE HARPER

En 2015, le climat économique est morose. Bon nombre de Canadien.nes occupent désormais des emplois atypiques, qui diffèrent du modèle traditionnel de travail stable à temps plein. Désormais, un nombre grandissant de ces travailleur.ses ne pourront toucher des prestations d’assurance-chômage si il ou elles tombent en chômage.[1] À titre d’exemple,  de 2007 à 2014, le taux de couverture du programme d’assurance-chômage est passé de 47% à 38%. Pour le MAC, le rétrécissement de l’accès est largement attribuable à la restructuration du marché du travail. À la nouvelle économie du précariat s’ajoute le fait « que bon nombre de travailleur.ses de longue date qui ont perdu leur job à la suite de la crise financière de 2008-2009 – qui a entraîné la disparition de pans entiers de secteurs industriels autrefois stables – n’ont jamais réussi à réintégrer le marché du travail après avoir épuisé leurs prestations.[2]

L’année 2015 est aussi une année de fin de mandat pour les conservateurs. En cette année électorale, la mobilisation contre le saccage est maintenue par les groupes de chômeur.ses et les organisations syndicales, plus de deux ans après son entrée en vigueur. Leur stratégie est de faire du saccage de Harper un enjeu électoral. Le MAC, comme ses alliés des milieux syndicaux et communautaires, invite à voter pour n’importe qui, mais à sortir les conservateurs, dont l’héritage est désastreux (droit des travailleur.ses et des femmes, retraites, immigration…la liste est longue!).

Le MAC interpelle directement les partis d’opposition pour obtenir des engagements. L’objectif : effacer le saccage de l’assurance-chômage. Plus précisément, les groupes de chômeur.ses demandent aux partis de s’engager à annuler la nouvelle définition d’emploi convenable, retirer les révisions administratives obligatoires et émettre une déclaration d’intention d’abolition du Tribunal de la sécurité sociale.

« Les chômeur.ses doivent avoir une réponse rapide à leurs préoccupations. Peu importe la couleur et les prétentions d’un nouveau gouvernement, il n’y aura pas de lune de miel…[3]

LE RAFISTOLAGE LIBÉRAL

Le 19 octobre 2015, le Parti Libéral de Justin Trudeau est porté au pouvoir. En mars 2016, plusieurs annonces sont faites dans le premier budget Morneau. Pour les chômeur.ses, ce «budget (…) apporte bien quelques modifications au régime d’assurance-chômage, mais rien de majeur pour renverser 25 ans de saccage ![4]

Le gouvernement Trudeau annonce dans son budget la réduction du délai de carence (semaine d’attente à purger au début de la demande), qui passe de 2 à 1 semaine. Pour le MAC, « c’est bien, mais peu. Pourquoi punir quelqu’un qui a perdu son emploi ? Retarde-t-on la pension des sénateurs et députés d’un délai de carence ? Ne paye-t-on pas des subventions à l’industrie pétrolière ? OK, on arrête, on pourrait continuer ainsi indéfiniment… [5]

Le ministre Morneau annonce aussi la fin de la catégorie des « nouveaux arrivants », ces travailleur.ses  qui, ayant peu travaillé dans le passé, devaient travailler au moins 910 heures dans la dernière année pour avoir droit à l’assurance-chômage. Depuis l’apparition de cette mesure en 1979 (mesures Cullen), le MAC n’avait cessé de revendiquer son abolition. En effet, qui était moins présent dans le marché de l’emploi lorsqu’on retourne deux ans en arrière ? En immense majorité les femmes, les jeunes et les immigrant.es récent.es. En devant travailler beaucoup plus avant d’avoir droit à l’assurance-chômage, ces travailleur.ses précaires étaient donc précarisé.es une seconde fois. L’abolition de cette mesure perverse est donc applaudie par le MAC.

Aussi, le gouvernement Trudeau annule en partie le saccage de Harper, en abolissant la nouvelle notion d’emploi convenable. La mobilisation a porté fruit! « On a été des milliers à manifester contre cette odieuse réforme, particulièrement au Québec et dans les Maritimes. Ça aura peut-être pris du temps et un changement de gouvernement, mais nous nous réjouissons d’avoir finalement été entendus et surtout, écoutés ».[6]

Côté mauvaises nouvelles, le budget ne souffle mot sur le Tribunal de la sécurité sociale de Harper. On annonce aussi la révision à la baisse les cotisations à la caisse. Le MAC réagit : « Baisser les cotisations signifie moins de fric dans la caisse d’assurance-chômage. Rappelons que l’État ne donne plus une cenne depuis 1990. Donc, en ayant une caisse « pauvre », la justification est toute trouvée pour, plus tard, saccager de nouveau le régime. Revenir en arrière dans nos économies capitalistes est depuis 30 ans le mode de fonctionnement de nos gouvernements.» [7]

Sans tambour ni trompette, on annonce aussi une enveloppe de 21 millions $ supplémentaires pour enquêter sur les prestataires. Pour le MAC, c’est une vieille rengaine.

« La fraude n’est pas un problème, mais fabriquer des fraudeurs peut être payant, la politique des quotas en étant la preuve. La chasse est repartie de plus belle ?» [8]

Au final, le MAC est mitigé. Tout en reconnaissant les mesures positives annoncées, arrachées de vive lutte, il constate qu’ « il s’agit bien  plus d’un rafistolage que d’un réel pas vers un régime équitable, juste et humain. Nous ne demandons ni la lune ni la pitié, mais un programme social où les travailleuses et les travailleurs ont, minimum syndical, les mêmes droits, avantages et place au soleil  que les patrons, les banquiers et autres représentants de l’élite socio-économique !»[9]

Le premier mandat de Justin Trudeau (2015-2019) sera ensuite marqué par quelques modifications à la pièce. Pensons au « programme de formation pour les travailleurs de longue date » qui permet d’étudier tout en touchant de l’assurance-chômage selon des critères étroits.  On annonce aussi la création des prestations « proche aidante d’un adulte » et on bonifie les prestations « proche aidant d’un enfant ». Sans être contre la vertu, les groupes de chômeur.ses critique un certain détournement de la caisse et de sa mission, qui est celui de couvrir le risque de chômage inhérent à l’économie capitaliste. «  Les prestations spéciales devraient faire partie d’un programme particulier au gouvernement fédéral ».[10]

Assez rapidement, les intentions du gouvernement libéral sont claires. On rafistole, mais aucune réforme en profondeur n’est à l’agenda. Alors que l’économie va bien et que le taux de chômage montréalais oscille autour de 6%, la question de l’assurance-chômage ne fait pas les manchettes. Le gouvernement Trudeau ignore les problèmes fondamentaux que vit le régime (et les chômeur.ses!) depuis les réformes des années 90 et fait la sourde oreille devant les revendications des sans-emploi. Un silence qui durera jusqu’à l’arrivée d’un…virus !

CHÔMAGE ET PANDÉMIE

En mars 2020, la pandémie de coronavirus gagne le Canada et de larges pans de l’économie ferment indéfiniment. Rapidement, le gouvernement Trudeau crée la Prestation canadienne d’urgence (PCU), dont bénéficieront à près de 9 millions de Canadien.nes au plus fort de la crise. Rapidement, le MAC est mobilisé pour répondre aux innombrables demandes d’information des sans-emploi de la covid, mais aussi pour talonner l’État afin que personne ne soit « échappé » par un programme crée dans l’urgence.

« Dans les semaines qui suivent son annonce, les groupes de chômeur.ses craignent que la PCU ne protège pas assez la main-d’oeuvre. On pense aux travailleur.ses à temps partiel qui continuent de travailler, mais moins, de même que les personnes déjà sans-emploi au déclenchement de la pandémie, mais qui ne pourront retrouver un emploi le temps venu à cause de cette même pandémie, notamment les saisonniers, les étudiant.es et les précaires. Dès le 6 avril, Justin Trudeau s’engage à couvrir les salarié.es à temps partiel. Le 10 avril, les saisonniers sont également considérés admissibles.»[11]

Rapidement, le MAC utilise l’éducation populaire pour informer les sans-emploi de leurs droits, mais aussi pour contrer un certain discours patronal contre les « paresseux de la PCU ». Le 16 juin 2020, alors que Trudeau annonce une prolongation de la PCU de 8 semaines, la réaction de François Legault est immédiate : « Il faut trouver une solution où il y ait un incitatif à aller travailler », attribuant du même coup les difficultés de recrutement et de rétention de la main-d’œuvre aux prestations fédérales. [12]

Pour le MAC, « le problème fondamental n’est pas que les gens ne veulent pas travailler, mais plutôt qu’ils encaissent de plein front les effets de la crise. Les inégalités se creusent, les gens ont peur et certains peinent à joindre les 2 bouts. On veut nous faire croire que ces situations sont des problèmes individuels et que la réponse à ces maux est d’aller travailler.

Travailler est une chose mais travailler dans n’importe quel domaine, travailler à n’importe quelle condition, en est une autre. Bref, l’économie a assez attendu et les banques, elles, n’attendent jamais. »[13]

À travers les tumultes de la pandémie, la PCU aura aussi révélé l’échec du projet néolibéral d’ « assurance-emploi » tel que nous le connaissons depuis 1996. « Si la PCU a été mise en place si rapidement, c’est bien parce que le régime actuel d’assurance-emploi était complètement inadapté pour faire face à la crise, comme il est d’ailleurs inadapté depuis des décennies à réellement aider les travailleur.ses au chômage. Et ce de l’avis même du président du Conseil du Trésor et ancien ministre en charge du dossier, Jean-Yves Duclos : « On savait que le filet de l’assurance emploi était un peu trop percé, ne couvrait pas assez grand, mais on n’a pas procédé assez rapidement à sa réforme. » Créé à la fin de la dernière Guerre mondiale, le programme « n’était pas adapté » à la crise actuelle, constate-t-il. « On peut et on doit faire encore mieux » [14]

La PCU prend fin en octobre 2020 et l’assurance-chômage reprend du service, mais avec des mesures de transition « spécial pandémie » qui permettent enfin un réel accès aux prestations. Le gouvernement Trudeau annonce à l’automne 2020 une réforme permanente à venir pour l’assurance-chômage, mais reste vague. Malgré un contexte favorable à une grande réforme (fait rare), les groupes de chômeur.ses ne peuvent rien tenir pour acquis, surtout lorsqu’une telle promesse vient d’un gouvernement minoritaire pouvant être renversé à court terme. En décembre 2020, le MASSE lance donc une nouvelle campagne intitulée « Améliorer son sort, c’est vital ! La réforme de l’assurance-chômage s’impose ». Si une réforme n’est pas adoptée d’ici à l’échéance des mesures de transition le 25 septembre 2021, les travailleur.ses seront de nouveau précarisé.es par un programme social dysfonctionnel et désavoué. À suivre…

LE TRIBUNAL DE L’INSÉCURITÉ SOCIALE

Le Tribunal de la sécurité sociale (TSS) est entré en service le 1er avril 2013 dans le cadre du saccage de l’assurance-chômage par le gouvernement Harper. Rappelons que les groupes de chômeur.ses avaient exigeé son abolition depuis sa création. L’arrivée au pouvoir des Libéraux en 2015 laissait espérer que cette aberration judiciaire soit abolie, au même titre que les autres éléments du saccage. La déception est grande lorsque le gouvernement Trudeau évite totalement la question à l’occasion du discours du Trône. « Le but du précédent gouvernement était de faire des économies et de couper l’accès à la justice. Mission accomplie.

Le gouvernement de Justin Trudeau a manqué (volontairement) le bateau. Dommage pour l’accès à la justice. »[15]

Dommage en effet, car après trois ans après sa mise en service, le Tribunal ne fonctionne toujours pas, ou si peu… « Délais interminables, procédures alambiquées, multiplication des instances et des demandes de permission, obligation de présenter des observations écrites sont autant de facteurs susceptibles de décourager les individus sans revenu, au point qu’ils, elles, abandonnent leurs recours. (…) Par ses économies de bout de chandelle (et qui restent à prouver), le TSS est complètement à côté de la plaque et illustre sans conteste le visage de la dérive managériale opérée au détriment des droits des chômeuses et des chômeurs. (…) L’impact de ces aberrations sur les sans-emploi crée une pression insupportable qui force les travailleur.ses à renoncer à leurs droits. »[16]

Le MAC et ses allié.es ne lâchent pourtant pas le morceau, malgré l’absence de volonté politique du nouveau gouvernement[17]. Cette persévérance est finalement récompensée. En 2017, le ministre Jean-Yve Duclos mandate la firme KPMG pour examiner l’état du TSS et faire des recommandations.

Le rapport de KPMG, après des mois de retard, est finalement rendu public le 4 janvier 2018 et reprend plusieurs des observations et critiques des groupes de chômeur.ses. Leur réaction au rapport est immédiate :

« Le TSS doit être aboli. KPMG, qui est loin d’être reconnue pour ses idées progressistes, confirme que le TSS est inopérant.[18]

Le rapport du KPMG restera lettre morte durant un an. Puis, en mars 2019, le gouvernement Trudeau annonce un investissement de plus de 250 millions pour Service Canada et le TSS. Le ministre Jean-Yves Duclos annonce aussi le retour des audiences devant trois personnes, incluant un.e représentant.e des travailleur.ses, comme le demandait le MAC depuis 2013.[19] Le retour au tripartisme et les sommes investies permettent au MAC d’espérer un système de contestation accessible, équitable et efficace pour les chômeurs qui souhaitent s’en prévaloir. Parallèlement à cette annonce, de 2018 à 2019, le TSS réduit ses délais entre le dépôt d’un appel et l’émission d’une décision, qui passent de 200 jours à 56 jours — une réduction de plus de 70 %.

Un an après l’annonce du gouvernement Trudeau, l’incertitude reste totale. Le MAC interpelle directement la ministre de l’assurance-chômage. « Depuis 2012 nous nous sommes mobilisés sans relâche pour dénoncer les nombreuses lacunes du Tribunal de la sécurité sociale, lacunes qui font aujourd’hui consensus tel que confirmé par la firme KPMG qui a évalué le processus d’appel. Madame la ministre, Carla Qualtrough, qu’attendez-vous pour respecter les engagements de votre gouvernement ?[20] À suivre…

FEMMES ET CHÔMAGE

À partir de 2015, le MAC développe une analyse féministe de l’assurance-chômage. Le but est d’abord de documenter comment les femmes, en tant que frange la plus précaire des travailleurs.es, sont touchées par les injustices du régime. Rappelons qu’ «en 2014, un maigre 29% des chômeuses a reçu des prestations régulières d’assurance-chômage. En comparaison, près de 45% des hommes y avaient droit.

Force est de constater que le régime d’assurance-chômage pénalise injustement les femmes dans leur accès aux prestations.» [21]

Le fait que les femmes représentent le 2/3 des salarié.e.s à temps partiel et qu’elles travaillent moins d’heure explique pourquoi plusieurs d’entre elles peinent à se qualifier. Inévitablement, pour les précaires, la durée des prestations sera plus courte et la valeur de l’indemnité de remplacement de revenu insuffisante pour assurer des conditions de vie décentes.[22]

La Commission d’assurance-emploi est aussi plus souvent qu’autrement totalement insensible à des réalités propres aux femmes sur le marché du travail.

Le 22 octobre 2018, le MASSE lance sa campagne « De travailleuse à chômeuse, même injustice, même combat ! » afin de mobiliser et sensibiliser à la question des dérives sexistes de l’assurance-chômage. La campagne cherche également à mettre en lumière la reproduction des inégalités du marché du travail dans le régime d’assurance chômage. [23]

Le contexte est favorable : « Trudeau s’est fait élire avec la promesse d’améliorer l’accessibilité au chômage et, depuis son élection, il multiplie les sorties publiques en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes. Cette campagne sera l’occasion de rappeler aux libéraux les idées qu’ils et elles ont défendues avant de prendre le pouvoir et d’exiger des modifications substantielles au régime d’assurance-chômage avant les prochaines élections fédérales ».[24]

Des ateliers d’éducation populaire sont donnés à travers le Québec et des vidéos éducatives sont produites. Une pétition contenant les revendications de la campagne est déposée au Parlement à Ottawa le 26 février 2019. Le 23 mai 2019, une manifestation à lieu à Québec, à l’occasion de laquelle les groupes de chômeur.ses et leurs alliées des groupes de femmes vont déposer une belle grosse pile de pétitions en format papier au bureau de circonscription du ministre Jean-Yves Duclos, responsable de l’assurance-chômage.

Le MAC mène aussi un combat devant les tribunaux pour contester les mesures qui empêchent les nouvelles mères d’être protégées en cas de perte d’emploi.

« Le problème qui nous intéresse est le suivant : lorsque des prestations spéciales (chômage-maternité, chômage-parental ou RQAP) et régulières d’assurance-chômage sont perçues par une même personne au cours d’une même période de prestations, le nombre de semaines de prestations qu’elle peut toucher ne peut dépasser 50. Ainsi, une personne qui touche le maximum de semaines prévues au RQAP aura atteint la limite des 50 semaines de prestations prévues à l’assurance-chômage et ne pourra dès lors recevoir d’indemnisation si elle se trouve sans emploi à la fin de son congé parental. Si cette règle ne semble pas directement viser les femmes, la réalité est toute autre… En effet, au Québec, les mères prennent en moyenne 45,2 semaines de prestations du RQAP, comparativement à 6,7 semaines en moyenne pour les pères. [25]

Au Canada, près de 9 pères sur 10 n’utilisent aucune prestation parentale. Les pères, s’ils se retrouvent sans emploi, seront donc admissibles au chômage, loin d’avoir plafonné le maximum de 50 semaines. Rappelons également que ce sont majoritairement les mères qui s’absentent temporairement de leur emploi dans l’année qui suit la naissance d’un enfant pour s’acquitter des charges familiales. À cette occasion, elles subissent déjà une baisse de revenu. Cet état de grande précarité place les femmes dans une position de vulnérabilité et de dépendance face à l’autre parent devant assumer l’entièreté des dépenses.

Ce constat est encore plus troublant dans le cas de familles monoparentales, majoritairement dirigées par une mère seule, ou de femmes victimes de violence conjugale »[26]

En décembre 2017, le MAC reçoit un appel d’une travailleuse sur la ligne téléphonique de service. « L’institution financière pour laquelle elle travaillait avait aboli son poste deux mois après son accouchement en 2017. Au bout des 50 semaines de RQAP, le gouvernement fédéral a toutefois refusé de lui verser des prestations d’assurance-emploi. »[27] Le MAC lui annonce d’abord que sa situation est sans issue, jusqu’à ce que l’idée d’un recours constitutionnelle s’impose. Cinq autres travailleuses dans des situations similaires se joignent ensuite au recours.

L’une d’elle est « Infirmière auxiliaire, elle perd son emploi en juillet 2018, après avoir donné naissance à son troisième enfant. Sans conjoint pour l’aider financièrement ni prestations d’assurance-emploi, elle a dû se résigner à accepter rapidement un poste de préposé aux bénéficiaires, moins bien rémunéré. « C’est tout ce que j’ai pu accepter parce que je ne peux pas travailler de soir et de nuit » — en raison de ses enfants à la maison —, explique-t-elle.[28]

Les audiences devant le Tribunal de la sécurité sociale débutent e 27 octobre 2020. Le recours du MAC vise à faire déclarer inconstitutionnelles certaines dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi qui sont discriminatoires et pénalisent les femmes sur la base de leur grossesse, donc de leur genre. Ce jour-là, le MAC annonce qu’il « accompagnera aussi longtemps que nécessaire les 6 travailleuses qui n’ont pas eu droit aux prestations régulières d’assurance-emploi suite à leur congé de maternité. (…) En raison de l’inaction du gouvernement fédéral depuis des années dans ce dossier le MAC se tourne aujourd’hui vers les tribunaux.[29]

Les audiences ne sont toujours pas terminées et la décision devrait être rendue au printemps 2021.

LA MACHINE ADMINISTRATIVE, ENCORE ET TOUJOURS…

Le MAC a pour tradition, depuis 1972, d’aider les prestataires à naviguer dans les dédales administratifs de l’assurance-chômage, un appareil parfois surréaliste ! (voir chapitres précédents)

En 2016, les groupes de chômeur.ses constatent « la détérioration constante des services offerts aux chômeurs : information erronée ou difficilement compréhensible, délais interminables, assistance quasi inexistante, processus grandement déshumanisé, temps d’attente inacceptable à la ligne téléphonique, etc.». [30]

Comme ce fut souvent le cas dans le passé, le traitement que l’État fait des prestataires d’assurance-chômage affecte aussi les fonctionnaires à qui l’on demande d’appliquer des règles absurdes. Toujours en 2016, une «étude du syndicat représentant les agent.es de Service Canada fait état d’une forte détresse psychologique chez ces travailleur.ses due aux directives du gouvernement fédéral par rapport au traitement qu’ils doivent offrir aux chômeur.ses. (…)[31]

Le MAC dénonce vivement le traitement des chômeur.ses imposé par le gouvernement par l’entremise de ses travailleur.ses, qui en sont aussi affecté.es « Soyons clair tout de suite : le fonctionnaire, ou l’agent de l’assurance-chômage n’est pas notre ennemi. Ni celui du travailleur. Nous avons de très bons rapports avec l’écrasante majorité d’entre eux.

Nous avons pris leur défense, entre autre, lors d’attaques les visant et venant de la part de politiciens qui les blâmaient pour appliquer leur propre loi qu’ils ont voté à deux mains! [32]

Pour le MAC, « l’excessif allongement des délais et l’arbitraire des décisions sont en effet alimentés par les conditions dans lesquelles ces agent·e·s travaillent : ils et elles sont surchargés (au moins 2000 postes ont été supprimés depuis 2012), disposent d’un guide d’interprétation de la loi particulièrement fantaisiste et doivent atteindre des quotas de prestations à récupérer – une pratique qui ne date d’ailleurs pas de Harper, mais du gouvernement libéral de Jean Chrétien.[33]

Malgré les interventions du MAC et ses nombreuses rencontres avec la direction de Service Canada, les choses ne s’améliorent pas. Au printemps 2019, les prestataires ont 2 chances sur 3 de finir par parler à un agent quand ils et elles téléphonent au centre d’appel de Service-Canada. « On n’arrête pas le progrès en 2015-2016, vous n’aviez que 1 chance sur 3 d’accomplir cet exploit.[34]

En 2019, devant un service complètement inadapté, le MAC écrit à la nouvelle ministre de l’assurance-chômage, Carla Qualtrough. « Attendre de 2 à 3 mois pour que le dossier soit traité est inadmissible et inhumain. (…) L’an dernier, nous avons craint pour la vie d’un citoyen. Là, on parle de suicide. Nous avons pu rétablir la situation à temps. Mais dans ce cas, en plus des délais, le citoyen avait été victime de l’incompétence d’une agente dans un bureau de Service Canada. (…) On nous dit que ces agents n’ont pas les compétences pour répondre aux questions des prestataires. Ah ben dit donc !»[35]

Un membre du MAC témoigne publiquement de son expérience désastreuse avec l’assurance-chômage : « Tout au long du processus, on a douté de moi. Tous les jours, de la même façon, on doute d’honnêtes citoyens qui, dans une période de vulnérabilité, doivent se défendre contre un système qui leur fait porter le fardeau de la honte, faisant planer sur leur tête une présomption de mauvaise foi.

Sommes-nous devenus des fraudeurs jusqu’à preuve du contraire? »[36]

En 2019, le gouvernement Trudeau annonce un investissement majeur pour moderniser Service Canada. À suivre…

ÉPILOGUE

Ainsi se termine le roman-feuilleton Le MAC : 50 ans de luttes. Une histoire qui se termine en pleine pandémie de coronavirus, avec une promesse du gouvernement de réformer un régime d’assurance-chômage désuet, injuste et inéquitable. Pour le MAC et les groupes de défense des chômeur.ses, la lutte continue !

Retour à la table des matières

Références

[1] « Le MAC de Montréal réitère sa revendication d’un régime d’assurance-chômage universel et accessible », communiqué de presse, MAC de Montréal, 9 février 2015

[2] « Assurance-chômage : Un régime rabougri qui ne répond plus à nos besoins », Nos droits nos luttes no.1, printemps-été 2015

[3] « Assurance-emploi – Le MAC de Montréal et le CCEM invitent les différents partis politiques à mettre fin au saccage de l’assurance-emploi », communiqué de presse, MAC de Montréal, 5 octobre 2020

[4] « Modifications au régime d’assurance-chômage : Un pas en avant, un pas en arrière. Rien de majeur pour renverser 25 ans de saccage! », communiqué de presse, MAC de Montréal, 22 mars 2016

[5] Ibid.

[6] « Victoire pour les chômeurs et chômeuses – Une grosse partie de la réforme Harper enfin abrogée! », communiqué de presse, MAC de Montréal, 13 juillet 2016

[7] « Du saccage conservateur au rafistolage libéral », Nos droits, nos luttes no, 2, automne 2016

[8] Ibid.

[9] Journée de réflexion du MAC de Montréal, invitation officielle, 15 avril 2016

[10] Nouvelles prestations d’assurance-emploi offertes aux proches aidants, Radio-Canada, 3 décembre 2017

[11] « Anges ou démons? Les discours politiques et patronaux sur les chômeurs suspects de la covid », Jérémie Dhavernas, À babord ! dossier en ligne : covid-19, 30 août 2020

[12] « La Prestation canadienne d’urgence doit être prolongée tant que la crise n’est pas résorbée », communiqué de presse, MAC de Montréal, 1er juin 2020

[13] Bon 1er mai quand même, MAC de Montréal, article du site web, 1er mai 2020

[14] « La Prestation canadienne d’urgence doit être prolongée tant que la crise n’est pas résorbée », loc. cit.

[15] « Du saccage conservateur au rafistolage libéral », loc. cit.

[16] « Le Tribunal de la sécurité sociale ou La maison qui rend fou », Nos droits, nos luttes no, 2, automne 2016

[17]. « Le processus d’appel relatif à l’assurance-emploi: Une remise en question globale s’impose », Lettre ouverte au Gouvernement du Canada de la part d’organisations communautaires et syndicales 30 août 2017

[18] Le Tribunal de la sécurité sociale doit être aboli, communiqué de presse, MASSE, 5 janvier 2018

[19] 250 millions pour le Tribunal de la sécurité sociale et retour au tripartisme, MAC de Montréal, article du site web, 21 mars 2019

[20] « Quel avenir pour le Tribunal de la sécurité sociale (TSS) ? », MAC de Montréal, site web du MAC, 6 juillet 2020

[21] « L’illusion de l’égalité, femmes et assurance-chômage », Nos droits, nos luttes, no.2 (automne 2016)

[22] « Des chiffres et des femmes : Pour les chômeuses, quelle protection? », Nos droits, nos luttes- Femmes et chômage, no 3, automne 2017

[23] Le Masse s’invite au parlement à Ottawa, communiqué de presse, MASSE, 26 février 2019, citation de Marie-Andrée Gauthier, coordonnatrice du Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec

[24] « Lancement de la campagne De travailleuses à chômeuses, même injustice, même combat! », communiqué de presse, MASSE, 22 octobre 2018

[25] « Chômage et maternité : l’aberration du congé parental », Kim Bouchard et Jérémie Dhavernas, À babord! Revue sociale et politique, no 74, avril-mai 78, dossier Justice pour toutes !

[26] « La loi sur l’assurance- emploi, une loi sexiste à transformer! », Kim Bouchard, MASSE, Bulletin de liaison de la FAFMRQ, vol. 43 no 3, février 2019

[27] « Privées de chômage pendant leur maternité, elles se battent devant les tribunaux », Patrick Bellerose, QMI, Journal de Montréal, 8 mars 2020

[28] Ibid.

[29] « Maternité, chômage et discrimination : 6 femmes devant les tribunaux », communiqué de presse, MAC de Montréal, 26 octobre 2020

[30] « Misère… et de l’importance de bien connaître ses droits… », MAC de Montréal, article du site web du MAC, 2 juin 2016

[31] Ibid.

[32] Ibid.

[33] « La machine à écraser les droits sociaux », Hans Marotte, À babord !, no 68, février-mars 2017

[34] « 2 chances sur 3 de finir par parler à un agent quand vous téléphonez au centre d’appel de Service-Canada », MAC de Montréal, article du site web, 5 mai 2019

[35] « Lettre à la ministre de l’assurance-chômage : le service et les délais », Martin Richard, MAC de Montréal, 15 janvier 2019

[36] « Les quotas ou le régime minceur de l’assurance-chômage », Yannick Marcoux, lettre ouverte, Le Droit, 12 décembre 2019