victoire juridique pour les personnes autistes face a l’assurance-emploi
Interventions médiatiques | 11 août
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La récente victoire juridique d’une résidente de La Pocatière pourrait donner un coup de pouce aux personnes autistes qui peinent à obtenir des prestations d’assurance-emploi lorsqu’elles se voient forcées de quitter leur travail en raison de leur condition.
Alexie Plourde a reçu un diagnostic officiel de trouble du spectre de l’autisme en 2020. Elle peut avoir du mal à garder un emploi : hypersensible, elle ressent parfois du stress et de l’anxiété intolérables quand le contexte n’est pas bon. Et quand les choses allaient moins bien, il lui est arrivé de démissionner à cause d’un effondrement autistique — un meltdown —, explique-t-elle ; il s’agissait de la seule solution qu’elle voyait pour préserver sa santé mentale.
« Un meltdown, c’est une surcharge d’émotions. C’est tellement souffrant que, des fois, on prend des décisions rapides », raconte Alexie en entrevue avec Le Devoir. « Mais, le lendemain, on comprend qu’on n’aurait pas pris cette décision aussi hâtivement et qu’on aurait attendu d’essayer autre chose avant de quitter [notre emploi]. »
Des prestations d’assurance-emploi lui ont été refusées à quelques reprises ces dernières années, car la Commission de l’assurance-emploi du Canada estimait qu’il s’agissait de départs volontaires et qu’elle n’avait pas exploré toutes les solutions avant de démissionner.
Des décisions insensées aux yeux d’Alexie, qui estime que les difficultés inhérentes à sa condition ont été complètement ignorées.
« Je trouve que j’aurais dû avoir droit au chômage. Je ne suis pas partie parce que je voulais profiter du chômage, je suis partie parce que je n’étais pas bien. Et je trouve que ça ne devrait pas se passer comme ça », dit celle qui détient un baccalauréat en administration des affaires. « Les trous du filet sont trop gros et je suis tombée en plein dedans. Personne ne devrait avoir à vivre ça, je voulais que les choses changent pour les personnes autistes. »
Victoire au tribunal
Elle a décidé de se battre jusqu’au Tribunal de la sécurité sociale du Canada, qui lui a finalement donné raison dans une décision détaillée rendue le 28 juillet.
« L’appelante était justifiée de quitter volontairement ses emplois en raison de “conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité” », écrit Normand Morin dans son jugement de 38 pages. « Dans son analyse, la Commission occulte le contenu d’un rapport très détaillé, rédigé en mars 2020 par une docteure en psychologie, et portant spécifiquement sur l’état psychologique de l’appelante, en lien avec le fait qu’elle présente un trouble du spectre de l’autisme », poursuit-il.
Olivier Gentil, directeur général d’Action chômage Kamouraska, a agi à titre de représentant pour Alexie Plourde. Il espère que cette décision donnera un coup de pouce aux autres Canadiens autistes qui vivent des difficultés au travail. « Ça va être beaucoup plus facile, lorsqu’on demande une révision administrative d’une décision, de plaider le même genre d’argument auprès des agents, et que ça passe. »
« On va pouvoir s’appuyer sur quelque chose qui a une valeur juridique. C’est un grand pas en avant », croit-il.
M. Gentil note toutefois qu’obtenir un diagnostic d’autisme, bénéficier d’un suivi psychosocial et avoir la documentation médicale nécessaire en main peut être difficile. « Une personne qui n’a pas accès à un diagnostic par manque de services ne pourra pas faire valoir ses droits de la même façon », dit-il.
Du côté de la Fédération québécoise de l’autisme, on se réjouit de la décision et on espère que le message sera bien transmis aux responsables. « C’est bien documenté, avec une bonne compréhension des problèmes que peuvent vivre les personnes autistes en milieu de travail », souligne la directrice générale de l’organisme, Lili Plourde. « Ça peut effectivement être très utile pour d’autres personnes autistes dans la même situation. »
Il n’y a pas beaucoup de décisions comme celle-ci — et se rendre jusqu’au tribunal peut être éprouvant et comporter de longs délais —, souligne Jérémie Dhavernas, avocat au Mouvement Action-Chômage, qui a représenté des personnes autistes à quelques reprises. « Chaque fois, il y a beaucoup d’éducation à faire chez les fonctionnaires. Il faut bien expliquer les réalités, et la décision dépend de la personne sur qui on tombe », raconte-t-il.
Difficulté d’avoir un emploi
Il est difficile pour les personnes autistes d’avoir un emploi, souligne de son côté l’Alliance canadienne de l’autisme. En effet, 33 % des personnes autistes ont rapporté avoir un emploi, comparativement à 79 % des personnes affectées par tout type de handicap, selon un sondage national effectué en 2020.
« Beaucoup d’entreprises veulent s’engager en faveur de l’inclusion des personnes handicapées », note Jonathan Lai, directeur exécutif de l’Alliance. « Mais cela ne veut pas seulement dire d’embaucher, il s’agit aussi de voir comment on peut les soutenir professionnellement pour les aider à progresser sur le lieu de travail, pour les aider à se sentir à l’aise et pour répondre à leurs besoins », explique-t-il.
Il précise que son organisation travaille actuellement avec Ottawa pour concrétiser une stratégie nationale de l’autisme, dotée entre autres d’un volet économique, ce qui pourrait amener des changements systémiques. « Nous espérons que, quand des cas comme ça se produisent, le gouvernement continue à répondre, à écouter et à créer des politiques appropriées. »
Contactée par Le Devoir, la Commission de l’assurance-emploi du Canada a répondu par courriel qu’elle « examine actuellement la décision ». « Nous ne pouvons commenter les détails de ce recours », écrit une porte-parole d’Emploi et Développement social Canada. « Chaque dossier est unique et traité individuellement. La Commission ne peut commenter les détails d’un dossier spécifique. »