Décès de Brian Mulroney : GOODBYE CHARLIE BROWN

Actualités | 1 mars

Le 29 février décédait l’ancien premier ministre Brian Mulroney. S’il est de bon ton de se remémorer le meilleur et non le pire lorsqu’une personnalité publique nous quitte, nous avons tout de même été surpris par les éloges dithyrambiques lus et entendus à propos de ce politicien conservateur…

En tout respect pour le défunt, il nous apparaît utile de rappeler que, sur le plan des politiques sociales et fiscales, Mulroney a attaqué sans relâche les plus pauvres, les travailleur.ses, le filet social et les sociétés d’État. Au début de son premier mandat, il avait même dû reculer sur sa proposition de désindexer les pensions de vieillesse face à la grogne populaire. « Tu nous as menti ! Tu nous as fait voter pour toi puis là, Goodbye Charlie Brown », lui avait lancé une manifestante, Solange Denis, le 19 juin 1985 lors d’un rassemblement contre cette mesure. De 1986 à 1988, Mulroney crée un ministère de la Privatisation à la tête duquel il nomme Barbra McDougall, qui sera ensuite responsable de l’emploi, de l’assurance-chômage et de l’immigration. Petit rappel de pourquoi les chômeur.ses n’oublieront pas Brian Mulroney.

LE COMBAT DES PRÉ-RETRAITÉ.ES

En novembre 1984, le ministre des Finances Michael Wilson laisse entendre à la Chambre des communes que le régime devra être revu de fond en comble, sans plus de précision… Force est de constater que les sans-emploi continueront à payer le prix de la crise économique, une crise qui s’éternise au-delà des projections.

Le gouvernement Mulroney et la ministre McDonald passent à l’attaque et annoncent en janvier 1986 que les revenus de pensions priveront désormais les travailleur.ses de plus de 60 ans du droit à l’assurance-chômage possiblement…pour le reste de leur vie !

La mobilisation politique s’organise aussitôt. Le MAC et les groupes de défense des retraité.e.s. (AQDR) s’unissent pour créer la coalition RETRAITES 85-86 à Montréal. Un mouvement similaire naît à Québec avec la création l’Association des retraités sans assurance-chômage (ARSAC).

Le 18 avril 1986, Brian Mulroney inaugure une usine de transformation de poissons dans sa circonscription de Manicouagan. Il est accueilli sous les huées par des centaines de manifestant.es mécontent.es. Un porte-parole du Regroupement des sans-emplois, M. André Lapierre, a remis au premier ministre une pétition de 5,000 noms réclamant l ’abolition de cette mesure, en lui demandant de la déposer aux Communes.

Après des mois de pression, le ministre Benoît Bouchard annonce en chambre le 5 décembre 1986 qu’un pensionné qui continue à travailler peut avoir recours à l’assurance-chômage. Il revient donc sur sa décision de janvier, mais en limitant l’admissibilité au régime aux seuls pré-retraités qui se trouvent un nouvel emploi. Il y a donc victoire, mais partielle…

LE PROJET DE LOI C-21 : ENLEVER LE GRAS DU MAIGRE

Avec ce projet de loi, le gouvernement conservateur annonce la plus grande attaque au régime depuis sa création. Premièrement, on annonce une réduction du taux de prestation de 60% à 57%. Ensuite, le nombre de semaine maximal de « pénalités » après avoir démissionné ou été congédié pour inconduite passe de 6 à 12 semaines. On évalue ces coupures (ou ses économies, dépendamment du point de vue) à 1,3 milliard de dollars.

Le MAC dénonce l’augmentation des semaines de pénalité en cas de départ volontaire et d’inconduite, le MAC écrit: « Non seulement l’actuel projet de loi C-21 rend-il plus difficile l’admissibilité au régime, accroissant la précarité de nombreux travailleur.ses et surtout travailleuses sur le marché du travail, mais il sera à toute fin pratique impossible de quitter son emploi ou d’en refuser un qui n’apparait pas convenable aux yeux du premier concerné, le salarié. »

« Cette réforme renforce les préjugés à l’égard des chômeurs et chômeuses plus que jamais uniques responsables de leur état et donne au régime une fonction qui ne lui convient pas, celle d’adapter l’offre de main-d’œuvre à la demande grandement affectée par l’accord de libre-échange. »

Pire encore, le gouvernement annonce que l’État se retire complètement du financement de la caisse d’assurance-chômage, lui qui la finançait depuis sa création en 1940 et à hauteur de 20% en 1989. C’est l’équivalent de près de 3 milliards de dollars par année qui ne seront pas versés dans la caisse.

Le MAC condamne également la fin du financement de la caisse par l’État. « Ce retrait n’est qu’une des manifestations de la volonté du gouvernement conservateur de laisser au secteur privé seul, la régulation de la croissance économique. »

Mulroney souhaite que sa loi soit en vigueur le 1er janvier 1990. Tout au long de l’année, manifestations, pétitions, occupations de bureaux et commissions parlementaires se succèdent. Des chômeur.ses mécontents font du grabuge au Mount Royal Club, une ligne de piquetage accueille le comité législatif à l’Hôtel Méridien et les bureaux des députés conservateurs de la région de Montréal sont visités par la coalition Solidarité populaire Québec. Une manifestation a aussi lieu devant la résidence du premier ministre à Ottawa et 15 000 pétitions papiers contre C-21 sont déposées au Sénat !

La logique du gouvernement Mulroney est limpide. Favoriser la mobilité de la main-d’œuvre et l’éclosion d’un cheap labour canadien pour compétitionner les nouveaux partenaires du libre-échange. Comme remède à la récession, les conservateurs proposent aussi de financer la formation de la main-d’œuvre à même l’argent de la caisse d’assurance-chômage. La source de la récession qui s’éternise n’est donc plus le manque d’emploi, mais bien les lacunes des travailleur.ses…

Le Sénat réussira à bloquer l’adoption du projet de loi durant des mois, avant que la logique parlementaire ne le rattrape. C-21 est adoptée le 22 octobre 1990, 1 an et demi après avoir été présenté en avril 1989. La défaite est dure à avaler, comme nous le rappelle cet extrait du journal du MAC.

PROJET DE LOI C-113 : BATTRE LE FER QUAND IL EST CHAUD

En 1992, le MAC pense, en toute logique, que Mulroney n’osera pas attaquer de nouveau le régime d’assurance-chômage en année pré-électorale. Erreur : les conservateurs n’en avaient pas fini avec les chômeur.ses. On apprend les nouvelles intentions du gouvernement Mulroney dans l’exposé économique du ministre des Finances Don Mazankowski, le 3 décembre 1992.

« Les personnes qui laissent volontairement leur emploi sans motif valable ou qui perdent leur travail à cause de leur mauvaise conduite n’auront plus droit aux prestations d’assurance-chômage. (…) On parle ici d’une nouvelle coupure d’environ 300 millions de dollars que les chômeurs auront à assumer. Cette mesure est essentiellement adoptée pour contraindre les employés (es) à conserver leur emploi coûte que coûte et à n’importe quelles conditions. » Dit plus simplement, on assiste à l’abolition de la liberté de travail telle qu’on la connaissant.

En plus d’exclure totalement les chômeur.ses du bénéfice des prestations suite à un départ volontaire ou une inconduite, le projet de loi du gouvernement Mulroney diminue également le taux de prestations de 60% à 57%.

Le MAC réagit rapidement. Dans la semaine du 14 au 17 décembre, 5 bureaux de députés sont occupés. Une soirée de solidarité est tenue le 15 décembre à l’Union française avec les allié.es syndicaux et communautaires. Michel Chartrand et Pierre Vallières y prennent la parole.

La porte est grande ouverte aux abus et le MAC s’inquiète du sort des travailleur.ses, particulièrement les femmes, les jeunes, les immigrant.es qui occupent dans la majorité des cas les emplois précaires et non-syndiqués. Les employeurs qui rationalisent leurs entreprises, tentent souvent de forcer les employées à démissionner pour éviter les préavis de départ. Cette démission forcée s’obtient facilement par le harcèlement. »

Pour mieux faire avaler sa contre-réforme, le ministre Bernard Valcourt joue également la carte de la protection contre les méchants fraudeurs. « Sous l’œil des caméras, le ministre Valcourt a affirmé à la Chambre des communes que son projet de loi vise à empêcher les chômeurs et chômeuses de quitter leur emploi pour aller passer l’hiver en Floride aux frais des autres travailleurs.» 

C-113 sera finalement adoptée et entre en vigueur le 4 avril 1993. Les exclusions totales en cas de départ volontaire et d’exclusions sont toujours en vigueur. Contester ces exclusions représente encore aujourd’hui une partie importante du travail du MAC.

CONCLUSION

Bref, quand on lit que le « p’tit gars de Baie-Comeau était l’ami des travailleur.ses, on a un peu de mal à avaler la pilule…Certes, M. Mulroney a signé plusieurs bons coups, pensons à l’Accord sur les pluies acides et son rôle central dans l’abolition de l’apartheid en Afrique du Sud, mais il aura aussi mis la table à trois décennies de néolibéralisme décomplexé et pavé la voie à l’austérité des Mike Harris, Jean Charest, Stephen Harper, Doug Ford et autres Philippe Couillard de ce monde. Et ça, les travailleur.ses et les plus démuni.es ne pourront l’oublier…

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