chômage et maternité : l’aberration du congé parental
Textes et analyses | 5 mai
Nous vous partageons aujourd’hui un article écrit par le MAC de Montréal et paru dans le numéro 74/mai 2018 de la revue À babord !
Au Mouvement Action-Chômage (MAC) de Montréal, nous croyons que toutes les travailleuses ont droit à la même protection en termes d’assurance-chômage, indépendamment de toute absence liée à la grossesse, à la maternité et aux congés parentaux. C’est pourquoi, nous avons récemment initié un processus de contestation judiciaire afin que les mères aient accès aux prestations régulières d’assurance-chômage si elles se retrouvent sans emploi, conformément au droit à l’égalité protégé par la Charte canadienne des droits et libertés. Ce combat s’inscrit dans la longue histoire de la discrimination subie par les chômeuses depuis la création du programme d’assurance-chômage canadien en 1940. Portrait.
En 1950, à peine 20% des femmes sont actives sur le marché du travail. Conformément à l’esprit de l’époque, on considère a priori que les femmes mariées ne peuvent se retrouver au chômage, ni même être en état de travailler. Suspicieuse face aux épouses qui osent réclamer de l’assurance-chômage dans les deux ans suivant leur mariage, la Commission d’assurance-chômage exige qu’elles remplissent des conditions supplémentaires pour avoir droit à des prestations. Jusqu’à l’abrogation de cette disposition réglementaire en 1957, entre 12 000 et 14 000 femmes se sont ainsi vu refuser l’accès à un remplacement de revenu décent[1].
Dans un contexte de changements des mentalités et d’augmentation du salariat féminin, le gouvernement Trudeau modifie en 1971 la Loi sur l’assurance-chômage et crée des prestations spéciales de maternité, améliorant la protection des travailleuses. Toujours méfiant face aux chômeuses, le législateur leur impose cependant des exigences particulières. Une femme désirant avoir accès à ce chômage-maternité doit avoir accumulé 20 semaines de travail dans la dernière année, dont 10 semaines durant sa grossesse, comparativement aux 8 semaines exigées normalement aux autres prestataires. Pour couronner le tout, les travailleuses sont inadmissibles au bénéfice des prestations régulières pour la période débutant 8 semaines avant l’accouchement et se terminant six semaines après celui-ci, même si elles sont aptes au travail.[2]
Ces dispositions sexistes sont contestées en 1979 devant la Cour suprême du Canada dans le cadre de l’affaire Bliss[3]. Bien qu’elle ait accumulé suffisamment de semaines de travail pour être admissible à des prestations régulières, l’appelante, Stella Bliss, ne répond pas au critère plus élevé donnant accès au chômage-maternité et plaide la discrimination fondée sur le genre. La Cour lui répond, sous la plume du juge Ritchie, que «toute inégalité entre les sexes dans ce domaine n’est pas le fait de la législation, mais bien de la nature». Il faudra attendre 1984 avant que le législateur ne vienne corriger la situation.
Si la Loi sur l’assurance-emploi, adopté en 1996, cesse de discriminer directement les chômeuses, force est de constater qu’une mère est aujourd’hui plus souvent qu’autrement exclue du bénéfice des prestations régulières d’assurance-chômage si elle se retrouve sans emploi durant ou après son congé parental. Cette situation est autant vécue par les mères québécoises qui touchent des prestations allouées par le Régime québécois d’assurance-parentale (RQAP) que par les mères des autres provinces touchant des prestations de chômage-maternité et de chômage-parental. Étant donné le caractère unique du RQAP, seul régime provincial d’assurance-parentale au Canada, et le fait que les congés parentaux relèvent de l’assurance-chômage dans les autres provinces, les prestations de RQAP sont assimilées à des prestations d’assurance-chômage.[4]
Le problème qui nous intéresse est le suivant : lorsque des prestations spéciales (chômage-maternité, chômage-parental ou RQAP) et régulières d’assurance-chômage sont prises par une même personne au cours d’une même période de prestations, le nombre de semaines de prestations qu’elle peut toucher ne peut dépasser 50. Ainsi, une personne qui touche le maximum de semaines prévues au RQAP aura atteint le 50 semaines maximum de prestations prévu à l’assurance-chômage et ne pourra dès lors recevoir d’assurance-chômage si elle se retrouve sans emploi à la fin de son congé parental. Si théoriquement cette règle ne semble pas directement viser les femmes, la réalité est toute autre…En effet, au Québec, les mères prennent en moyenne 45,2 semaines de prestations du RQAP, comparativement à 6,7 semaines en moyenne pour les pères. Ces derniers, advenant qu’ils se retrouvent au chômage, seront donc pleinement admissibles à l’assurance-chômage, loin d’avoir plafonné leur maximum de 50 semaines.
Le refus d’accorder une protection contre le chômage aux nouvelles mères perpétue les iniquités vécues par les femmes sur le marché du travail. Pour ses femmes, l’insécurité économique crée par la perte d’un emploi s’ajoute aux dépenses inhérentes à l’arrivée d’un enfant. Dans ce contexte, l’impossibilité de toucher de l’assurance-chômage pour une travailleuse congédiée ou mise à pied de par le seul fait qu’elle se soit prévalue de son congé parental est une aberration. Le salaire féminin est devenu une contribution essentielle au revenu du ménage et non plus un salaire d’appoint. Ne pas accorder l’assurance-chômage à ces femmes résulte d’un préjugé anachronique reléguant l’apport aux revenus familiaux de ces dernières au second rang, derrière celui du bon père de famille assumant l’entièreté des dépenses.
La pleine égalité devant la loi est un objectif qui commande à l’État de tout mettre en œuvre pour que ses politiques sociales s’arriment aux réalités du monde du travail. Des réalités qui impliquent plus que jamais la présence massive des femmes sur le marché du travail et les responsabilités familiales qu’elles assument. Des réalités qui ne sont nullement reflétées par le régime actuel d’assurance-chômage En tant qu’acteur incontournable dans la lutte pour l’égalité hommes-femmes, l’État doit agir. À défaut de quoi, le pouvoir judiciaire pourrait bien avoir à intervenir…
Kim Bouchard et Jérémie Dhavernas,
Mouvement Action-Chômage (MAC) de Montréal
Le Mouvement Action-Chômage (MAC) de Montréal est un organisme communautaire qui se consacre entièrement à la défense individuelle et collective des droits des sans-emploi, depuis près de 50 ans.
[1] Canada. Comité d’enquête relatif à la Loi sur l’assurance-chômage. Rapport du Comité d’enquête relatif à la Loi sur l’assurance‑chômage. Ottawa : Imprimeur de la Reine, 1962.
[2] Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48, art. 46.
[3] Bliss c. Le Procureur Général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 183
[4] Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332, art. 76.19(1).