Paresseux et profiteurs : Qu’est-ce qui se cache derrière la peur de la PCU?

Actualités | 3 juillet

Nous vous partageons l’excellente chronique d’Aurélie Lanctôt parue aujourd’hui dans Le Devoir.

Nous y voilà encore. Le ministre du Travail, Jean Boulet, affirmait il y a quelques jours que la PCU freine la reprise économique du Québec parce qu’elle décourage l’emploi dans plusieurs secteurs « clés ». Ce n’est évidemment pas la première fois que ce gouvernement s’en prend à la PCU : déjà en mai, François Legault critiquait sa « générosité », soucieux, sans doute, d’envoyer le bon message à ceux qui ont intérêt à ce que les salariés retournent rapidement au travail, peu importe dans quelles conditions.

Mais cette semaine, le ministre Boulet était sans équivoque : l’allocation fédérale freine les entreprises, notamment dans la construction et l’alimentation, où l’on peine à réembaucher de la main-d’œuvre. Sans surprise, son discours relaie scrupuleusement les inquiétudes exprimées dans les milieux patronaux, où l’on martèle, depuis la mise sur pied des prestations d’urgence, que toute forme d’aide substantielle aux travailleurs nuit au modèle d’affaire de bon nombre d’entreprises.

Enfin, on ne le dit pas dans ces termes-là, mais c’est ce qu’on finit par comprendre : les entreprises qui propulsent la croissance économique du Québec dépendent d’une main-d’œuvre bon marché, au point où une allocation de 2000 $ par mois — ce qui, projeté sur une année, ne permet pas de vivre décemment — fait fuir les travailleurs. On a ainsi critiqué non seulement la PCU et sa prolongation, mais aussi la prestation pour les étudiants, laquelle fait paniquer les entreprises qui comptent sur des employés saisonniers payés au salaire minimum ou à peu près.

Jamais, étrangement, on ne remet en question la dépendance des secteurs « clés » de l’économie à une main-d’œuvre mal rémunérée ; jamais n’interroge-t-on la qualité des emplois offerts ou les conditions de vie des travailleurs pour qui la PCU représente un gain salarial. On se rabat plutôt sur l’idée que les salariés sont par nature paresseux et profiteurs, et qu’il est en ce sens indispensable de les maintenir dans l’âtre de la pauvreté pour les contraindre à l’emploi. Qu’ils ne reçoivent pas un sou de plus que ce qui leur est dû !

On tient cependant un discours parfaitement contradictoire sur le travail : d’un côté, on répète que les salariés, surtout ceux qui occupent des emplois non qualifiés et relativement peu rémunérés, sont essentiels à la reprise économique du Québec, mais de l’autre, on présente leurs besoins et leurs intérêts, même les plus élémentaires, comme autant d’obstacles au retour à la « normale ». On comprend en fait que la norme, dans ce régime économique, désigne un état où l’abnégation et la précarité des travailleurs sont la condition essentielle d’une prospérité dont ceux-ci ne bénéficient même pas, en fin de compte.

On l’a vu ces dernières années : on vante sans cesse la solidité de la croissance économique du Québec, mais pour les bas salariés, le goût de cette prospérité est bien amer, alors que l’ensemble des services publics ont été fragilisés, et que leur revenu suffit de moins en moins à se loger, à se nourrir convenablement et à se divertir un peu.

Il faut voir tous les petits patrons qui, ces derniers temps, sortent les violons tout en applaudissant les ministres lorsqu’ils semoncent les travailleurs hésitants à reprendre le collier. Je paie pourtant bien mes employés, me disait l’un sur Twitter cette semaine. Entre 19 et 22 $ de l’heure, disait-il — ce qui est décent —, mais ils restent à la maison, profitent de la PCU ; preuve de la préférence des travailleurs pour l’oisiveté, laquelle prévaut même sans égard à la rémunération.

Partout, on présente le travail salarié comme une faveur consentie par l’employeur, sans jamais envisager la relation salariale exactement pour ce qu’elle est, soit un rapport d’exploitation. Que le salaire soit décent ou non, la configuration reste la même — il ne s’agit que d’une différence de degré. Et du même souffle, on dévalorise toutes les activités qui ne sont pas assujetties aux exigences de l’emploi ; comme s’il n’existait aucune forme de vie bonne et socialement utile ne s’inscrivant pas docilement à l’intérieur des rapports salariaux.

Au Québec, on estimait en 2019 qu’une personne qui gagne 15,23 $ de l’heure ou moins (soit les deux tiers du salaire médian) est considérée comme un bas salarié. 19,8 % des travailleurs québécois entrent dans cette catégorie selon Statistique Canada et, sans surprise, les femmes et les immigrants y sont surreprésentés. C’est tout de même un travailleur sur cinq. Or, on ne vit pas bien, même avec 15 $ de l’heure, et on sait par ailleurs que les emplois mal rémunérés sont aussi souvent les plus pénibles. Voilà pourtant les emplois qu’il faudrait combler de toute urgence pour relancer l’économie du Québec.

Mais qu’y gagnent ceux qu’on presse aujourd’hui de retourner au travail ? Non seulement rien n’a été fait durant la pandémie pour soutenir les personnes qui se trouvaient déjà en situation de pauvreté, mais on s’estime en droit d’exiger des travailleurs qu’ils retournent occuper des emplois qui les maintiennent dans une situation précaire. La « paresse » alléguée des travailleurs est en fait l’épouvantail qu’on brandit pour dissimuler la fragilité d’une économie qui repose en large partie sur l’exploitation salariale.

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