Délais d’attente à Service Canada ou quand l’exception fait la règle

Interventions médiatiques | 2 juillet

Nous vous partageons une lettre d’opinion parue dans Le Devoir, signée par Camille Legault Thuot (MASSE) et Fanny Labelle (MAC de Montréal).

Lire la lettre sur le site du Devoir.


Relayée largement par les grands médias, « la crise des passeports » soulève depuis quelques semaines l’indignation de nombreux Canadiens qui s’étonnent de l’échec monumental de Service Canada à délivrer des passeports dans des délais raisonnables.

Les personnes sans-emploi qui ont dû composer avec la machine défectueuse qu’est Service Canada sourcillent probablement devant les propos de la ministre lorsqu’elle invoque le caractère exceptionnel de la situation. Certains se rappelleront également qu’en 2006, un syndicat d’employés de la fonction publique canadienne avait pointé du doigt l’existence de directives internes ayant pour effet de falsifier les chiffres sur les délais d’attente réels à Service Canada.

Le manque de transparence et le cafouillage chez Service Canada ne datent pas d’hier. Depuis l’instauration de cette méga-agence fédérale, les groupes de défense des droits des chômeurs de la province n’ont cessé de dénoncer l’accroissement des délais d’attente pour le traitement des dossiers d’assurance-emploi. Déjà en 2006, pour résorber l’arriéré des 80 000 dossiers dont le traitement dépassait les 28 jours, le Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi (MASSE) recommandait d’augmenter le nombre d’agents d’au moins 20 % et de cesser la chasse aux « mauvais chômeurs ».

Le même son de cloche fut donné en 2008, 2010, 2013 et pour toutes les années subséquentes. Enfin, le rapport Massé sur la qualité des services, publié en 2015, suggérait un ensemble de solutions qui auraient pu être mises en place bien avant la pandémie. Il faut augmenter le nombre d’agents et bonifier leur formation, simplifier les procédures opérationnelles et investir dans les infrastructures technologiques.

Après dix-sept ans, force est de constater que Service Canada est non seulement devenu une machine qui fragilise les populations vulnérables, mais un véritable frein à l’exercice du droit à une protection en cas de chômage pour tous les travailleurs.

Depuis l’hiver 2022 — alors que les demandes de chômage atteignent un creux historique — Service Canada bat de tristes records. En janvier, ce sont près de 300 000 dossiers qui ne respectent pas les normes de traitement, certaines personnes pouvant attendre jusqu’à un an pour que soit traitée leur demande. Gardés dans l’ombre, les futurs prestataires doivent appeler en moyenne sept fois les services de première ligne pour obtenir un suivi de leur dossier.

Comble de l’aberration, les demandes classées « urgences humanitaires » ne sont plus considérées comme prioritaires depuis quelque temps. Des chômeurs en détresse se font dire de prendre leur mal en patience, de s’endetter et parfois même d’aller chercher de l’aide sociale. Les conséquences sont dramatiques. Connaissez-vous beaucoup de personnes capables de faire vivre leur famille sans revenus pendant deux, voire quatre mois ?

Au-delà de la pandémie

Loin d’être perméable aux vagues de réformes de l’administration publique observées depuis 1970, le Canada crée en 2005 Service Canada, un organe à guichet unique au sein duquel seront désormais administrés les programmes de quatorze ministères. Cette nouvelle structure, nous promet-on, « permettra à la fois d’améliorer la qualité des services tout en réalisant des économies ».

Service Canada importe des méthodes de gestion propres à celles des entreprises privées et témoigne d’une vision clientéliste des services publics. L’importance accrue accordée aux mécanismes d’évaluation du rendement du personnel alourdit les procédures administratives, alors que l’informatisation mur à mur des services est inadaptée aux besoins réels des chômeurs dont les demandes sont « irrégulières ».

Résultat : l’ajout d’un billet médical dans la demande d’assurance-emploi, ou la déclaration d’indemnités provenant de la CNESST par exemple, peut priver une personne sans-emploi de prestations pendant des mois.

À l’été 2020, le gouvernement Trudeau a promis d’adapter le régime d’assurance-chômage « à la réalité des travailleurs du XXIe siècle ». Or, tant et aussi longtemps que le gouvernement nie les dysfonctions profondes de l’appareil censé administrer le régime, les Canadiens risquent de ne pas voir la couleur des prestations auxquelles ils et elles ont droit.

L’amnésie du gouvernement a assez duré.

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