Une travailleuse de la construction témoigne

Actualités | 29 août

Le témoignage qui suit a été lu par la secrétaire générale de la CSN-construction, Karyne Prégent, dans le cadre du « tribunal populaire » sur le saccage de l’assurance-chômage, tenu à l’occasion du Forum social des peuples le 22 août à Ottawa. Elle y présente clairement la réalité des travailleuses et travailleurs de la construction, et l’impact de la réforme Harper sur leurs conditions de vie. À lire et à partager!

– Le MAC de Montréal

 

Uniquement au Québec, l’industrie de la construction c’est 165 000 emplois, sans compter tous les emplois indirects, ce qui fait environ 1 emploi sur 20.

C’est 13% du PIB.

Ce sont des emplois saisonniers et on ne peut négliger cette réalité.

Ne pas tenir compte d’un tel pourcentage de travailleuses et de travailleurs et de leurs réalités est complètement irresponsable et inacceptable.

Ne pas tenir compte du fait que c’est un milieu contractuel, souvent de courte durée, où l’on change souvent d’employeurs dans une année et qu’il n’y a ni sécurité d’emploi, ni d’ancienneté. Tout cela doit aussi faire partie de la réflexion.

Les changements climatiques qu’on le veuille ou non jouent un rôle sur les mises en chantier et le nombre d’heures que les travailleuses et les travailleurs effectuent dans une année.

Parmi les 26 métiers et la trentaine d’occupations, environ 3 à 5 sont susceptibles de travailler à longueur d’année et encore, s’il y des mises en chantier. Parce que la réalité c’est que tous les autres corps de métier ne peuvent pas, donc les mises en chantier sont plutôt rares en période hivernale…

On n’en fait pas de routes ou de ponts en hiver, on ne refait pas une toiture, ni de briques ou de revêtements extérieurs. On ne coule pas de fondations, on ne délimite pas un terrain, on ne change généralement pas de fenêtres ou de portes dans cette période.

On peut donc dire que de façon générale: les couvreurs, les menuisiers, les opérateurs de pelle et de grue, les arpenteurs, les briqueteurs, les ferrailleurs, les cimentiers, les manœuvres, les monteurs d’aciers et j’en passe ne travaillent pas en période hivernale.

Est-ce un choix? NON!

La moyenne d’heures effectuées dans une année est entre 950 et 1 000 heures.

Auront-ils besoin de combler le restant avec des prestations d’assurance-emploi pour vivre et faire vivre leurs familles? BIEN SÛR!

Devront-ils redemander des prestations d’assurance-emploi l’hiver suivant? BIEN SÛR!

Est-ce de la paresse? NON! C’est une réalité!

La réalité de l’industrie de la construction au Québec. Est-ce que cette réalité existe aussi dans les grands centres? BIEN SÛR, nous aussi on doit vivre avec le climat hivernal.

Est-ce qu’elles ou ils vont aller travailler pour un autre employeur pendant 2 mois et ne plus être disponibles pour retourner sur les chantiers lorsque le temps le permettra? Parce que, ne l’oublions pas, s’ils quittent volontairement un emploi leurs heures ne compteront pas l’hiver prochain…

Pouvons-nous nous permettre de perdre des gens compétents qui font un travail difficile et dangereux?

Surtout dans un contexte où il y a un besoin de main-d’œuvre d’environ 10 000 personnes par année?

Les grands centres sont d’autant plus atteints que c’est à ces endroits qu’il y a le plus grand nombre de chantiers.

M. Harper,

Pensez-vous que je crie «Youpie! Je suis en vacances!» quand les chantiers ferment?

Eh bien non. Je me dis que je devrai faire vivre ma famille avec uniquement 55% de mon salaire.

Je me dis que j’aurais aimé profiter du temps avec mes enfants durant l’été, mais puisque que je devais travailler 10 à 12 heures par jour afin d’arriver à avoir le nombre d’heures minimal requis pour m’assurer que ma famille puisse passer l’hiver, je n’ai pas pu.

Je me dis qu’il aurait fallu que je fasse ceci ou cela sur ma maison, mon terrain ou dans mon appartement, mais que je n’avais pas le temps et maintenant avec cette diminution de mon salaire je n’en ai pas les moyens.

M. Harper,

Croyez-vous que je n’aimerais pas mieux avoir un horaire et un salaire stable à l’année?

M. Harper,

Pensez-vous que parce que vous me mettez de la pression psychologique en me répétant constamment aux deux semaines lorsque je remplis mes prestations que je suis considérée comme une prestataire fréquente, qu’il me sera plus facile de trouver un chantier l’hiver?

Eh bien non M. Harper!

Je ne partirai pas dans le Sud avec un pina colada à me prélasser au soleil, les deux pieds dans le sable. Je ne me lèverai pas à midi parce que mon horloge à moi est habituée de me réveiller à 4h30 du matin. Je vais soigner mon corps blessé et fatigué d’avoir fait un travail si dur, de longues heures intenses et espérer que le printemps ne tardera pas pour que je recommence à travailler, parce que j’ai besoin de l’assurance-emploi pour survivre, parce qu’on ne vit pas de l’assurance-emploi, on survit avec!

Parce que, M. Harper, si vous pouvez être fier de votre réseau routier, de vos ponts, de vos écoles, de vos hôpitaux, de vos grands bureaux; c’est en partie grâce à nous, qui les avons construits à la sueur de notre front et avec nos compétences et qui, contrairement à ce que vous croyez, voulons travailler.

Alors, réfléchissez donc à votre belle réforme et soyez réaliste!

Mettez en place une réforme qui tient compte des travailleuses et des travailleurs saisonniers!

Karyne Prégent, charpentière-menuisière
Secrétaire générale, Fédération de la CSN-Construction et responsable nationale condition féminine.