Assurance-chômage: après la lutte juridique, l’espoir politique

Actualités | 6 août

Le porte-parole du MAC de Montréal, Hans Marotte, réagit à la récente décision de la Cour suprême du Canada, qui a donné son aval au vol de la caisse de l’assurance-chômage (commentaire publié dans l’édition du 19 juillet du quotidien Le Devoir):

La Cour suprême du Canada a donné raison jeudi au gouvernement fédéral et met fin à l’action de la FTQ et de la CSN qui tentaient de faire invalider la loi fédérale ayant aboli la caisse d’assurance-emploi et fait disparaître sa réserve de 57 milliards de dollars. «Le recours des syndicats est voué à l’échec», a statué la Cour, puisqu’elle avait déjà conclu que les sommes recueillies dans la caisse d’assurance-emploi constituaient des «recettes publiques de l’État» et pouvaient donc être utilisées à d’autres fins que le paiement de prestations.

La lutte juridique étant maintenant bel et bien terminée, il reste encore à faire la lutte politique. Le bon sens, l’équité et la justice doivent enfin apparaître après plus de 20 ans de saccage d’un régime d’assurance qui devrait avoir pour principal objectif de couvrir les travailleurs qui se retrouvent temporairement sans emploi. On apprenait en mai que le taux de couverture du régime était à un creux historique de 38,8%.

Depuis le début des années 1990, l’assurance-chômage a subi des réformes radicales qui ont eu des conséquences importantes sur la vie de milliers de travailleurs (augmentation significative des normes d’admissibilité, réduction de la durée des périodes de prestations, baisse du taux de prestations, abolition complète du droit aux prestations dans les cas d’inconduite ou de départ volontaire sans justification, durcissement des mesures punitives, etc.). C’est en 1990 que le gouvernement fédéral se retire complètement du financement de la caisse de l’assurance-chômage. La ministre de l’époque, Barbara McDougall, parla alors d’«une mesure nécessaire à la lumière de la situation financière», tenant compte «du fait que l’État n’a pas les moyens de contribuer au financement du régime tant qu’il enregistre un déficit important et persistant». Pourtant, le régime était excédentaire de 356 millions de dollars en 1988, de 1,1 milliard en 1989 et de 2,1 milliards en 1990! Mme McDougall ne sera pas la dernière à utiliser des faussetés pour justifier les compressions dans ce régime. Tous ses successeurs utiliseront le même procédé.

En faisant le choix de cesser de cotiser, l’État se déresponsabilisait du problème du chômage en laissant aux seuls travailleurs et employeurs le fardeau de financer la caisse. Cela entraîna une augmentation significative des taux de cotisation pour les travailleurs. Il fallait compenser le manque à gagner puisque, dans les huit dernières années où l’État a cotisé (1983 à 1990), sa contribution avait été de 2,4 à 2,9 milliards de dollars par année. Les travailleurs devaient maintenant cotiser davantage, mais obtenaient moins en cas de chômage.

Par la suite, après avoir augmenté les taux de cotisation des employeurs et des travailleurs et après avoir réduit l’accès au régime, le fédéral pouvait, dès 1995, commencer à récolter le fruit de son «dur» labeur. La caisse a recommencé à être excédentaire pour atteindre le sommet titanesque de 57 milliards de dollars accumulés à la fin de l’exercice financier 2007-2008.

Bien sûr, ce surplus n’était que virtuel. Cette somme, détournée illégitimement des fins pour lesquelles elle avait été prélevée, ne se retrouvait plus dans aucun coffre de l’État. Pourtant, les gouvernements à Ottawa ont tenté de nous faire croire pendant de nombreuses années qu’il était pour eux hors de question d’y piger.

Par exemple, lors de la mise en place de la réforme de 1996, les ministres Axworthy et Young ont toujours prétendu que les surplus de la caisse devaient bénéficier aux travailleurs qui y ont cotisé. Doug Young avait même affirmé à l’époque que son gouvernement n’avait «ni de près ni de loin la main dans la “boîte à biscuits” […] que ni le gouvernement, ni quelque société que ce soit, ne [prendrait] quoi que ce soit des surplus de la caisse de l’assurance-chômage».

Par la suite, certains membres du gouvernement Chrétien ont finalement avoué que ce qu’ils avaient dit était inexact. Jean Chrétien avoua candidement qu’«il n’y a pas de surplus. Il n’y a pas de caisse de côté où il y a de l’argent dedans. C’est une question de comptabilité.»

Depuis 1995, les gouvernements libéral et conservateur ont détourné de la caisse d’assurance-chômage plus de 57 milliards de dollars. Le but de la Loi sur l’assurance-«emploi» («chômage» avant 1997) a toujours été d’aider les travailleurs lors d’une perte d’emploi. Un rôle qu’elle ne remplit plus aujourd’hui. Que le procédé ait été jugé «légal» par la Cour suprême ne change en rien l’illégitimité et l’immoralité de la chose. Il est inacceptable que l’État ait utilisé cet argent à d’autres fins.

Si votre compagnie d’assurances annonçait un taux de couverture de moins de 40%, vous changeriez de compagnie. En matière d’assurance-chômage, il vous est impossible de le faire. La seule solution réside donc dans le rétablissement d’un véritable régime. Il est à souhaiter que cet enjeu fondamental demeure dans l’actualité et qu’il soit un des thèmes importants de la prochaine campagne électorale.

Le jugement de la Cour suprême est disponible ici.