»Assurance-emploi (chômage) : soutenir les sans-emploi ou le marché. » Un texte de Benoit Marsan, militant du Mouvement Action-Chômage de Montréal, paru dans la revue de la Ligue des Droits et Libertés

Interventions médiatiques | 10 mars

Le Devoir, Des Idées en revues
Assurance-emploi: soutenir les sans-emploi ou le marché?
3 mars 2015 | Benoit Marsan – Doctorant en histoire à l’UQAM et auteur de l’ouvrage «Battez-vous, ne vous laissez pas affamer ! Les communistes et la lutte des sans-emploi pendant la Grande Dépression» (M éditeur, 2014) | Canada

Avec la réforme de l’assurance-emploi de 2013 se pose une fois de plus la question de la fonction de cette loi à l’égard de la protection des travailleuses et des travailleurs en chômage. Bien que ce programme soit souvent perçu comme une mesure permettant d’assurer un revenu de remplacement lors de périodes de chômage, du côté des acteurs gouvernementaux et du patronat, il est avant tout utilisé comme un mécanisme permettant de réguler le marché du travail. Cette fonction n’est cependant pas nouvelle et s’inscrit dans des processus historiques antérieurs.

Dès le Moyen-Âge se développent en Europe des politiques d’assistance aux pauvres. On observe alors les premiers exercices de classement et de sélection des personnes qui doivent être assistées. Les indigents sont alors divisés en deux grandes catégories : le pauvre méritant qui, par son état physique ou mental, est jugé incapable de travailler et le pauvre indigne, qui est en état de travailler, mais se retrouve sans travail. C’est ce dernier qui, jusqu’au XXe siècle, est la plupart du temps exclu des mesures de secours.

Dans le contexte d’émergence du libéralisme et du processus d’industrialisation, le salariat devient la forme dominante de l’organisation du travail. Dès lors s’amorce une reconfiguration du rapport à la pauvreté et à l’assistance. D’un côté, le « travail libre » s’épanouit tout en fragilisant la condition ouvrière. On assiste alors à une généralisation de la misère. Sous l’Ancien Régime, c’était l’absence de travail qui menait à la pauvreté ; désormais c’est le travail en soi qui la provoque. En Angleterre, la réforme des Poor Laws de 1834 vise à s’attaquer au paupérisme. Les versions antérieures sont considérées comme encourageant la paresse, en plus d’être un frein à la généralisation du salariat (elles garantissaient un minimum de subsistance aux plus pauvres, empêchant ainsi la responsabilisation individuelle selon les penseurs libéraux de l’époque). Cette réforme mène à l’instauration d’une politique nationale et centralisée de l’assistance. Avec le concept de less elegibility, on cherche à préserver la motivation des gens à l’emploi afin que les conditions de travail les plus exécrables apparaissent un moindre mal face à la nouvelle mouture des secours. Il ne faut pas comprendre cette réforme comme une manifestation du « laisser-faire » économique, mais plutôt comme une volonté de réguler le marché de l’emploi, jumelée à une entreprise de moralisation des pauvres par le travail. Jusqu’à la Grande Dépression, ce sont grosso modo les principes des Poor Laws post-1834 qui structurent les politiques d’administration de l’assistance au Canada, à l’exception du Québec.

Le Canada et le Québec avant la Grande Dépression

L’économie canadienne est principalement basée sur une économie saisonnière, où le chômage fait partie de la réalité de la classe ouvrière. Il n’existe alors aucun programme de secours centralisé au niveau fédéral. Le chômage est perçu comme un choix individuel. On estime qu’il est de la responsabilité de chacun d’accumuler les économies nécessaires pour affronter ces périodes. Au Québec, ce n’est pas la version canadienne des Poor Laws qui fonde les pratiques d’assistance. Pour saisir ces pratiques, il faut plutôt regarder du côté des oeuvres charitables de l’Église catholique. Jusqu’à la crise des années 1930, elles ne concernent que les personnes jugées inaptes au travail. La responsabilité de prendre en charge les pauvres aptes à travailler incombe strictement au réseau familial. Le salariat devient ainsi la seule option de survie.

À la suite des mobilisations populaires au cours de la Grande Dépression, le gouvernement fédéral se voit forcé de mettre en place un régime d’assurance chômage dans les années 1940. Durant la même période, le modèle fordiste et l’application de politiques keynésiennes vont mener à une expansion du régime qui s’inscrit non plus dans une logique d’assistance, mais dans le cadre d’une politique de droit au chômage. Cela est cependant de courte durée… Dès le début des années 1970, dans un nouveau contexte de crise économique, on assiste à une contraction du régime au moment où s’accentue drastiquement la fonction de régulation du travail exercée par le programme. Cette tendance va croître jusqu’à la réforme de 1996. Dès lors, le nouveau régime, nommé désormais assurance-emploi, devient essentiellement un programme de régulation des marchés régionaux canadiens du travail, par des critères différenciés d’admissibilité et des programmes adaptés de formation de la main-d’oeuvre.

La réforme de 2013

L’objectif réel des modifications à l’assurance-emploi de 2013 est double : 1) la transformation du processus de contestation des décisions qui vise à restreindre les droits des prestataires ; 2) la nouvelle définition d’« emploi convenable » vise à accélérer le retour sur le marché du travail des prestataires « le plus rapidement possible et à n’importe quel prix ». Le « chômeur méritant » devient celui ou celle qui ne demande jamais de prestations et le « chômeur indigne » est celui ou celle qui a recours fréquemment au programme (les critères de recherche d’emploi sont maintenant plus sévères pour les sans-emploi qui font souvent des demandes de prestation). Désormais, pour la très grande majorité des sans-emploi, c’est le salariat (où le salaire minimum devient le seul seuil minimal acceptable) qui est l’unique alternative au chômage, et ce, au plus grand avantage du patronat.